« Ils veulent tuer la Sécu ! » s’inquiète Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat chargé du Budget

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Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 va être présenté par le gouvernement dans les prochains jours, il apparaît que les mesures d’urgence « Gilets jaunes » votées en décembre dernier ne vont pas être compensées par l’Etat à la Sécurité sociale. Une décision du gouvernement qui devrait conduire à un déficit de la Sécurité sociale en 2019 de plus de 5 milliards d’euros alors qu’on tablait sur des excédents de 100 millions d’euros il y a un an et sur un retour durable à l’équilibre après 18 ans de déficit. L’ancien secrétaire d’Etat chargé du Budget et des Comptes publics (2014-2017), Christian Eckert, condamne cette politique de non compensation des exonérations « qui fragilise notre système de protection sociale ». « On a l’impression que le gouvernement veut faire la preuve que le système n’est pas viable » avec comme objectif « d’orienter les Français vers les assurances privées ».

– Le gouvernement semble décidé à ce que l’Etat ne compense pas à la Sécurité sociale les mesures d’urgence dites « Gilets jaunes » votées fin décembre, soit 2,7 milliards d’euros. Comment analysez-vous cette politique ?

C’est une rupture inédite des principes et des pratiques qui se sont appliqués jusqu’à présent dans les relations entre l’Etat et la Sécurité sociale. Comme le principe de la compensation est rendu obligatoire par la loi Veil du 25 juillet 1994, je m’interroge sur la légalité de cette nouvelle méthode. Au point où nous en sommes, si les mesures d’urgence « Gilets jaunes » ne sont pas compensées, on risque d’atteindre un déficit de la Sécurité sociale de plus de 5 milliards d’euros.

Les mesures « Gilets jaunes » représentent 2,7 milliards d’euros : 1,2 milliards d’euros lié à l’avancement de septembre à janvier 2019 de l’exonération sociale des heures supplémentaires ; 1,5 milliard d’euros, correspondant à la baisse de 1,7% de la CSG des retraités gagnant moins de 2000 euros par mois. A ces 2,7 milliards d’euros, il faut ajouter la baisse du forfait social prévu par la loi Pacte de 800 millions d’euros.

Il faut rappeler que dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019, pour la première fois, le gouvernement avait déjà décidé, en le théorisant, de ne pas compenser des allègements de charge à hauteur de 2,4 milliards d’euros. Ces non compensations qui creusent le déficit vont fragiliser un peu plus notre système de protection sociale. C’est pourquoi je me demande s’ils ne veulent pas tuer la Sécu.

– Quelle peut être, selon vous, l’explication d’une telle politique qui fragilise les comptes de la Sécurité sociale ?

On a l’impression que le gouvernement veut faire la preuve que le système n’est pas viable. Si le gouvernement supprime des recettes de la Sécurité sociale dès qu’elle revient à l’équilibre et la met ainsi dans le rouge, ce n’est pas la peine d’avoir fait polytechnique pour comprendre qu’ils veulent changer de système. Je suis persuadé que l’idée sous-jacente est d’orienter les Français vers les assurances privées pour compléter leur protection sociale solidaire. Car, si la Sécurité sociale voit son déficit se creuser à plus de 5 milliards d’euros en 2020, cela implique de nouvelles mesures d’économies en perspective qui vont venir réduire les prestations publiques de la protection sociale. Il devient alors naturel et nécessaire de se couvrir davantage par des assurances privées. Le gouvernement semble être dans cette idée simple de faire marcher le « business », ce qui est choquant en matière de protection sociale, en contradiction avec notre modèle solidaire.

Par ailleurs, il est évident qu’un contexte de déficit est évidemment beaucoup plus favorable pour faire passer la réforme des retraites voulue par le président de la République. C’est aussi plus facile de s’en prendre à l’Aide médicale d’Etat (AME) qui couvre la santé des sans-papiers, ce qui est proprement scandaleux car dans ce domaine il vaut mieux pêcher pas excès que par insuffisance, sachant que l’AME représente 0,5% des dépenses de santé.

– Croyez-vous possible un changement de système, tel que vous le décrivez, sans qu’il y ait un débat public ?

Il est vrai que cette politique est menée sans que personne ne soit vraiment au courant. C’est assez inquiétant. Le gouvernement ne joue pas cartes sur table et pourtant semble vouloir modifier le modèle social en profondeur.

Je le répète, ce changement de système ne se justifie aucunement. D’autant qu’à partir de 2024, la dette sociale sera apurée. Ce qui veut dire que le gouvernement se retrouvera à ce moment-là avec un apport de 24 milliards d’euros qui sera disponible tous les ans. Son financement est assuré par la CRDS de 0,5%, de la CSG et une ponction sur le Fonds de réserve des retraites. Une manne tout à fait exceptionnelle qui permettrait de financer la dépendance (5 milliards d’euros par an), mais aussi de donner des moyens à l’hôpital et aux Ehpad, et de faire une réforme des retraites qui ne diminue pas les pensions, donc qui ne nécessite pas de développer l’épargne retraite par capitalisation comme le veut le gouvernement.