Non-compensation : le Haut Conseil du financement de la protection sociale dit son désaccord

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Dans son rapport annuel remis ces jours-ci au Premier ministre, le Haut Conseil du financement de la protection sociale recommande de respecter l’autonomie du budget de la Sécurité sociale par rapport au budget de l’Etat, et donc de revenir à une compensation des exonérations. Son président, Dominique Libault*, explique ici que la Sécurité sociale ne doit pas être « affectée par des décisions circonstancielles de tel ou tel ministère ». Il plaide pour le retour à « une relation claire et stable Etat-Sécurité sociale sur les ressources, dans une optique de responsabilisation ». Dans cette logique, le rapport préconise que les excédents futurs de la Sécurité sociale soient mis en réserve et non utilisés pour renflouer le budget de l’Etat, comme le veut le gouvernement. La prise de position du Haut Conseil s’ajoute aux nombreuses réactions en faveur de la compensation, émanant de parlementaires de tous bords dont certains de la majorité, de la Mutualité Française, de syndicats, d’associations et d’experts. Une indignation générale qui reste sans effet sur le gouvernement, le Plfss ayant été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 29 octobre.  

Dans son rapport annuel, le Haut Conseil du financement de la protection sociale se prononce pour la sécurisation des ressources de la Sécurité sociale, autant dire la compensation par l’Etat des exonérations. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Le Haut Conseil du financement de la protection sociale, en mai dernier, dans son état des lieux post-loi de financement, avait soulevé un certain nombre de questions posées par la remise en cause du principe de compensation par l’Etat à la Sécurité sociale des exonérations de charges liés à des politiques sectorielles ou d’emploi (cf. article de Viva Le blog du 17/05/2019 Un rapport s’inquiète de la nouvelle politique de non-compensation des exonérations à la Sécurité sociale).

Dans son rapport annuel à paraître, il revient sur cette question et note que l’existence d’un budget de la Sécurité sociale distinct de celui de l’Etat permet de faire apparaître des soldes réels et des projections de solde sur les différents risques de la Sécurité sociale (maladie, retraite), ce qui justifie et permet de calibrer les réformes touchant ces risques en fonction des déficits présents ou à venir. Cela permet aussi au budget de l’Etat de ne pas avoir à supporter le coût du vieillissement de la population à travers les budgets retraite, maladie et dépendance. Mais cette construction ne tient que parce que les soldes ont un sens, et que les ressources du système suivent une certaine logique et continuité, qui n’est pas affectée par des décisions circonstancielles de tel ou de tel ministère, cherchant à construire des dérogations pour ses publics, aux frais de la Sécurité sociale.

Le Haut Conseil estime qu’il faut donc veiller à une relation claire et stable Etat-Sécurité sociale sur les ressources, dans une optique de responsabilisation, et ce, sans exclure naturellement – et même pour permettre – les évolutions inévitables de structure de financement de la protection sociale.

Quelles sont les mesures que votre rapport préconise précisément pour sécuriser les ressources de la Sécurité sociale ?

Le Haut Conseil préconise qu’en cas d’excédents de la Sécurité sociale, ceux-ci soient mis en réserve. Ces réserves des « beaux jours » auraient vocation à faire face aux déficits engendrés par une plus mauvaise conjoncture. Il faut avoir à l’esprit que les recettes de la Sécurité sociale sont très sensibles à la conjoncture, notamment aux fluctuations de la masse salariale qui conditionnent les volumes financiers générés par les cotisations. La priorité du Haut Conseil dans sa réflexion sur la gouvernance financière est celle portant sur la possibilité – et la nécessité – d’éviter le retour des déficits structurels de la Sécurité sociale, et de mettre fin à un endettement qui sollicite des ressources – 17 milliards d’euros pour la Cades actuellement – qui seraient mieux employées ailleurs.

Certains s’inquiètent que le creusement du déficit de la Sécurité sociale ne pèse sur la réforme attendue de la dépendance dont il va falloir trouver le financement. Qu’en pensez-vous ?

Dans mon rapport « Grand âge et autonomie » réalisé à l’issue d’une très vaste concertation et remis à la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, le 28 mars dernier, le besoin de financement pour la réforme de la dépendance est estimé à 9,2 milliards d’euros d’ici à 2030 (0,4 point de Pib), soit 1 milliard par an. L’objectif d’une extinction de la Cades en 2024 est maintenu, et sera très vraisemblablement tenu, si bien qu’à partir de 2025, il y aura 20 milliards d’euros disponibles tous les ans, alimentés par les cotisations de Crds et de Csg, qui servaient jusque-là à rembourser la dette de la Sécurité sociale. Je propose d’en affecter 6 milliards à la perte d’autonomie. Il reste 14 milliards de disponibles pour d’autres objets… y compris le remboursement de dette qui continuerait à s’accumuler à l’Acoss d’ici là. Il serait évidemment préférable de revenir très rapidement à l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale, tel qu’il avait été envisagé dans le Plfss pour 2019.

Par ailleurs, si le Plfss contient les premiers signaux d’une nouvelle politique en matière de dépendance, en particulier avec le congé indemnisé de proche aidant, est toujours attendue évidemment une réforme ambitieuse et complète pour préparer la France à une vraie stratégie du grand âge, qui est aujourd’hui indispensable.

* Dominique Libault, conseiller d’Etat, est président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, auteur du rapport « Grand âge et autonomie » de mars 2019, et directeur général de l’Ecole nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S).