Plfss : des députés de tous bords en émoi face à la non-compensation des exonérations

Les deputes socialistes

Alerte sur le Plfss pour 2020. De toutes parts et de tous bords, des voix s’élèvent pour dénoncer ce projet de loi qui, en ne compensant pas les exonérations, creuse le déficit de la Sécurité sociale à plus de 5 milliards d’euros. Une politique qui débouche notamment sur l’insuffisance des moyens financiers accordés à l’hôpital dont les besoins sont criants. En date du 10 octobre, une lettre commune, adressée au Premier ministre Edouard Philippe, signée de la Mutualité française, de la Fehap, de syndicats (Cfdt, Fo, Cgc, Cfct, Unsa, Fsu) et d’associations (Fnath, France Assos Santé, Unaf, Uniopps), demande « un retour à la compensation intégrale » des exonérations et des « mesures à la hauteur des attentes ». Le rapporteur général du Plfss, pourtant membre de la majorité Lrem, Olivier Véran, critique aussi cette non-compensation et tente depuis deux semaines d’infléchir le texte. A la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, nombreux sont les députés qui s’indignent et s’inquiètent. Alors que le texte est examiné par cette commission à partir de mardi 15 octobre, son vice-président (LR), Jean-Pierre Door, et le député y représentant le groupe socialiste, Boris Vallaud, font part ici de leur opposition au projet de loi et de leur émoi.

Vous réclamez le retour à la compensation des exonérations par l’Etat à la Sécurité sociale ? Pouvez-vous expliquer l’enjeu de cette affaire ?

Jean-Pierre Door (député LR) :  L’absence de compensation des exonérations de charges remet en cause l’autonomie de la Sécurité sociale, qui est un principe depuis le programme du Conseil national de la Résistance (Cnr) qui débouchera sur la création de la Sécurité sociale en 1945. C’est d’ailleurs pour cette raison que tous les conseils d’administration des branches de la Sécurité sociale viennent de voter contre ce Plfss. De même, la Mutualité française a fait part de son opposition dans une lettre commune au Premier ministre. Je conteste les propos du ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui nous répond : « Le budget de l’Etat et celui de la Sécurité sociale, pour les Français, c’est la même poche. » Car les cotisations qui financent la Sécurité sociale sont liées aux salaires, alors que les impôts sont liés aux revenus. Cette décision est grave, particulièrement dans le contexte de crise sociale des « Gilets jaunes » que nous venons de vivre, car la Sécurité sociale est un pilier de notre modèle social et de la cohésion sociale. On peut parler d’un abus de pouvoir de Bercy et du gouvernement. On fait payer par l’assurance maladie une politique hasardeuse de hausse puis de baisse de la Csg, menée en 2018.

Boris Vallaud (député PS) : Cette non-compensation des exonérations à hauteur de 2,7 milliards d’euros pour 2020 est irresponsable. C’est une remise en cause de la loi Veil du 25 juillet 1994 qui oblige l’Etat à compenser intégralement  toute exonération nouvelle. Le gouvernement ne respecte pas l’autonomie du budget de la Sécurité sociale, la place des partenaires sociaux dans la gestion de l’assurance-maladie et assimile abusivement du salaire différé (la cotisation) à l’impôt. Il faut savoir que cette politique est prévue de longue date. Dès la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, il avait été décidé de prendre 25 milliards d’euros à l’assurance-maladie (au cas où elle serait excédentaire comme c’était escompté) pour renflouer le budget de l’Etat. Sur cette même ligne, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 a déjà non-compensé deux exonérations pour un montant de 2,4 milliards d’euros. Le gouvernement met sciemment l’assurance-maladie en déficit et sous tension. Cela lui permet de justifier les économies annoncées (4,2 milliards d’euros en 2020 pour l’assurance-maladie) et cela va aider à mieux faire passer la réforme des retraites. Nous, on estime que les efforts consentis ces dernières années par les Français et les personnels hospitaliers nécessitent de leur rendre ces sommes non compensées.

Ce choix du déficit de l’assurance-maladie réduit les marges de manœuvre pour résoudre la crise de l’hôpital. Comment voyez-vous les choses à ce sujet ?

Jean-Pierre Door (député LR) : Le gouvernement fait le choix du déficit et dégage donc des moyens totalement insuffisants pour l’hôpital : une enveloppe de 750 millions d’euros est promise pour les urgences pour la période 2019-2002. C’est peanuts. L’Ondam est fixé pour l’hôpital à 2,1 % alors qu’il devrait être à 4 %. Nous demandons un plan massif d’investissement pour les urgences 2020-2022, à l’image du plan hôpital 2007-2012 qui était de 10 milliards d’euros. Il y a des besoins en matière de rémunération mais aussi d’organisation. Sans quoi, on peut craindre que la crise des urgences ne s’étende à l’ensemble des hôpitaux. Les urgentistes travaillent beaucoup, nuit et jour, ils sont à bout.

Boris Vallaud (député PS) : L’hôpital brûle et le gouvernement regarde ailleurs. Avec un Ondam hospitalier à 2,1 %, la part de la dépense de l’hôpital dans le Pib décroît. On nous dit que cette baisse est le résultat du tournant ambulatoire. Ce qui devrait alerter, c’est ce constat : en 2017 et 2018, l’activité des cliniques privées progresse plus vite (+2,4 % et +1,7 %) que celle des hôpitaux publics (+0,4 % et +0,5 %), alors que cela a toujours été le contraire. Il faut savoir que, dans les hôpitaux, la situation est tellement tendue et les moyens humains tellement insuffisants que, face à un nouveau patient, les médecins posent la question : « Est-ce qu’il est “cliniquable”, ou pas ? » On nous renvoie le fait que, quand nous étions au pouvoir, de 2012 à 2017, nous avons aussi demandé des efforts. C’est vrai. Mais il est vrai aussi qu’aujourd’hui, on ne peut pas aller plus loin. Les poches de productivité sont vides. Il y a une vraie crise de l’hôpital à résoudre. Sinon, ça va péter.