Réforme des retraites : « la baisse annoncée du niveau des pensions pour tous » : Christophe Ramaux, économiste atterré

Christophe Ramaux, economiste, co-auteur du livre Changer d'Europe. © DR
Christophe Ramaux, economiste, co-auteur du livre Changer d'Europe. © DR

Alors que la réforme des retraites inquiète de plus en plus les Français et que débute le 5 décembre un vaste mouvement social pour s’y opposer, l’économiste Christophe Ramaux* enseignant-chercheur à La Sorbonne – Université Paris 1, membre des Economistes atterrés analyse ici les principaux points qui posent problème. 

La baisse annoncée du niveau des pensions

« Avec cette réforme, le taux de remplacement va baisser en moyenne de 20% pour tous les Français. La logique est imparable : d’un côté, on va avoir une hausse du nombre des retraités par rapport aux actifs de l’ordre de 20% dans les années qui viennent, de l’autre le gouvernement a décidé qu’on ne consacrera pas plus aux retraites. On aboutit donc forcément à un décrochage général du niveau des pensions. Le rapport Delevoye énonce ainsi que tout est négociable sauf la part de la richesse nationale allouée aux retraites, qui devra rester à 14% du PIB. 

Comme on l’a fait par le passé, on pourrait « cotiser dans la bonne humeur », et donc augmenter légèrement le taux de cotisation pour garantir le niveau des pensions. Le gouvernement le refuse et entend geler le taux de cotisation moyen à 28%. 

La suppression des régimes spéciaux

« L’idée qu’il faille aller vers une convergence des 42 régimes est positive. Mais plutôt que d’aller ver un régime par points, cette convergence pourrait se faire dans le cadre de notre régime par répartition actuel. Les régimes spéciaux rejoindraient le régime général qui prévoirait des garanties selon la pénibilité des métiers. On ferait converger les régimes par le haut. Par exemple, les conducteurs de train ou ceux qui assurent la maintenance des rails la nuit, garderaient leurs garanties, mais celles-ci seraient étendues aux salariés du privé soumis aux mêmes types de contraintes. 

Quant à la ‘’ clause du grand-père ‘’, c’est un très mauvais message adressé aux jeunes. C’est leur dire : dans quarante ans, vous serez maltraité. 

Cette question des régimes spéciaux est d’autant plus sournoise qu’il n’y a pas de problème de financement. Chaque année, nous dépensons 320 milliards d’euros pour nos retraites et il n’y a quasiment pas de déficit. »

Quelle sera la valeur du point ?

« Avec un système par points, on sait ce qu’on cotise mais on ne sait pas ce qu’on va toucher. C’est ce qu’on appelle un système à cotisation définie. Alors que notre système actuel est à prestation définie : on a une garantie sur le montant de notre retraite future. En Suède, le pays modèle de la retraite par points (réforme de 1994), la valeur du point a été fortement diminuée à la suite de la crise de 2008. Les Suédois, dans l’ensemble, ont vu le niveau des pensions baisser. Et le taux de pauvreté des retraités en Suède a sensiblement augmenté, alors qu’il est faible en France, et nous devrions en être fiers.

La valeur du point pourra être ajustée à la baisse facilement, pour rester dans la contrainte que s’est fixé ce gouvernement, soit la limitation de la dépense publique pour les retraites. »

Que penser de l’âge pivot ? 

« C’est rajouter de l’injustice à l’injustice. Actuellement, les ouvriers et les employés qui ont commencé à travailler jeunes, à 17-18 ans, peuvent partir avant l’âge légal de 62 ans avec le dispositif ‘’ carrières longues ‘’. Demain, avec l’introduction d’un âge pivot à 64 ans, ces catégories populaires devront attendre plusieurs années pour toucher leur retraite ou subir une forte décote s’ils partent avant 64 ans. L’âge pivot joue au bénéfice des cadres qui ont fait des études longues et qui n’ont pas leurs annuités avant 64 ans. »

Un creusement des inégalités

« La réforme va dans le sens de la déchirure du tissu social. Son grand principe « un euro cotisé donne les mêmes droits à chacun » annule les mécanismes de solidarité qui existent dans notre système actuel. Il faut comprendre qu’aujourd’hui notre régime par répartition est assurantiel (on cotise en fonction de ses revenus) mais que toute une série de dispositifs viennent compenser les inégalités : le taux de remplacement d’une personne au SMIC est supérieur à celui d’un cadre ; le chômeur indemnisé valide des trimestres sans cotiser ; les femmes évitent souvent la pauvreté grâce à la pension de réversion, etc. Autant de compensations majeures qui seront supprimées ou rabotées.

Le gouvernement dit vouloir rétablir des mécanismes pour prendre en compte les situations, mais ce qui est évoqué est a minima. »

L’incitation à se tourner vers les fonds de pension

« Puisque la réforme va aboutir à une baisse des taux de remplacement, il y a une incitation, non dite explicitement mais évidente, à ce que les Français se tournent vers des plans de retraite par capitalisation pour compléter leurs revenus. De nouveaux dispositifs d’épargne retraite sont d’ailleurs prévus par la loi Pacte du 22 mai 2019. Là encore, c’est profondément inégalitaire puisque seules les classes moyennes supérieures ont les moyens de souscrire à ces fonds de pension. Sans compter les risques pesant sur ces compléments de retraite liés aux aléas des marchés financiers. »

* Christophe Ramaux est notamment l’auteur de L’Etat social. Pour sortir du chaos néolibéral(éd. Mille et une nuits – Fayard, 2012)