Pierre-Yves Chanu : « Vers l’effondrement du taux de remplacement »

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Depuis le 30 janvier, les partenaires sociaux participent à la Conférence du financement qui doit, d’ici à la fin avril, trouver des solutions pour équilibrer le système des retraites à l’horizon 2027. L’économiste de la Cgt et vice-président de l’Acoss, Pierre-Yves Chanu, estime qu’il va être difficile de se mettre d’accord. Le retrait de l’âge pivot à 64 ans par le Premier ministre est, selon lui, « de l’enfumage ». « Le véritable objectif de la réforme, c’est une baisse des dépenses socialisées allouées aux retraites. »

Pierre Yves Chanu, CGT

Que pensez-vous de la Conférence du financement ?

La Cgt va y participer, mais nous sommes toujours pour le retrait de la réforme des retraites. Donc, il ne s’agit pas pour nous de contribuer à la réflexion sur l’équilibre financier du régime à points, mais de mettre sur la table nos propositions visant au financement d’un régime fondé sur des annuités, à prestations définies, garantissant un taux de remplacement de 75 % et une ouverture des droits à 60 ans. Le véritable objectif de la réforme, c’est une baisse des prélèvements obligatoires et des dépenses socialisées alloués aux retraites, ce qui doit conduire à un effondrement du taux de remplacement, avec un appel d’air massif vers la capitalisation. 

De plus, cette histoire du retrait de l’âge pivot à 64 ans, cela s’appelle de l’enfumage. Car, le 11 janvier, le Premier ministre annonce qu’il retire l’âge pivot à 64 ans du projet de loi (il devait entrer en vigueur en 2022 et augmenter progressivement pour atteindre 64 ans en 2027). Mais, il conserve un âge d’équilibre pour les futurs retraités nés à partir du 1er janvier 1975 qui partiront à la retraite à partir de 2037. Selon l’étude d’impact, cet âge d’équilibre pourrait évoluer de 64 ans en 2039 à 65 ans en 2040 et pourquoi pas davantage puisqu’il dépendra de l’âge moyen de départ des salariés et des gains d’espérance de vie.

Il est évident que, dans ces conditions, on va avoir du mal à se mettre d’accord dans cette Conférence du financement. Il est possible qu’elle aille dans le mur. D’autant que le Premier ministre a précisé d’entrée de jeu que le seul paramètre possible était une mesure d’âge, excluant toute hausse de cotisations. Et qu’il nous demande de trouver 12 milliards d’euros à l’horizon 2027, un chiffre que nous contestons.

On sait qu’à partir de 2024 une cagnotte de près de 20 milliards d’euros va être dégagée tous les ans par la Cades, la dette de la Sécurité sociale étant à cette date intégralement remboursée. En tant qu’administrateur de la Cades, pensez-vous que cette manne pourrait répondre au besoin de financement des retraites ?

En effet, des sommes importantes vont être dégagées à partir de 2024. Je précise néanmoins les chiffres : on peut tabler sur 19 milliards d’euros tous les ans à partir de 2024. Et il faudra, avant de pouvoir allouer ces sommes, penser préalablement à l’apurement de la dette de l’Acoss estimée à 37 milliards d’euros en 2024. Une fois cette dette remboursée, on peut dire que 19 milliards par an, cela donne de vraies marges pour apporter un financement complémentaire aux retraites et pour financer la réforme attendue de la dépendance. 

L’un des grands enjeux de cette réforme, c’est la fixation de la valeur du point. Quel rôle devrait être celui des partenaires sociaux dans la gouvernance du système ?

On ne peut que noter un grand flou en la matière. On parle d’associer les partenaires sociaux à la gouvernance, mais il est très clair que c’est l’Etat qui va garder la main. Le conseil d’administration de la future Caisse nationale de retraite universelle (issue de la fusion des 42 régimes) devrait être composé des partenaires sociaux, de personnalités qualifiées mais aussi de représentants de l’Etat. Rien à voir avec le modèle de l’Agirc-Arrco qui est géré exclusivement par les partenaires sociaux. En outre, le conseil d’administration prendra ses décisions en vertu d’une délégation partielle de l’Etat, ses décisions devenant exécutoires à la condition que l’Etat donne son aval. 

Bien entendu, il y a le risque que l’Etat décide d’une indexation a minima de la valeur de service du point et des pensions, ou même qu’il s’autorise à une non indexation. On vient d’ailleurs d’apprendre que l’indexation du point va se faire sur un indice qui n’existe pas encore (le revenu moyen par tête) et non sur les salaires comme prévu par le rapport Delevoye. Ce curseur de l’indexation peut conduire à un effondrement du taux de remplacement à partir de 2037. 

Propos recueillis par Emmanuelle Heidsieck