Un rapport s’inquiète de la nouvelle politique de non compensation des exonérations à la Sécurité sociale

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Dans son rapport rendu public le 10 mai*, le Haut Conseil du financement de la protection sociale s’inquiète de la nouvelle politique de transferts des excédents de la Sécurité sociale vers le budget de l’Etat et de la non compensation par l’Etat à la Sécurité sociale de certaines exonérations. Pierre-Yves Chanu, économiste spécialiste de la protection sociale à la CGT, membre du Haut Conseil du Financement de la Protection sociale, s’exprime.

Alors que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 prévoyait un retour aux excédents (+100 millions d’euros) après 18 ans dans le rouge, les mesures « Gilets Jaunes » inscrites dans la loi MUES vont peser pour 2,6 milliards d’euros auxquelles il faut ajouter la dégradation de la conjoncture pour 1,2 milliard d’euros. Un changement de perspectives qui devrait conduire à un solde déficitaire de 3,4 milliards d’euros en 2019, 3,6 milliards en 2020 et 5,9 milliards en 2021. Ce contexte « interroge quant à l’application réelle du nouveau cadre des relations entre l’Etat et la Sécurité sociale » pointe ainsi le rapport. Car, en revenant sur les transferts, la Sécurité sociale pourrait à nouveau enregistrer des excédents à compter de 2021. Membre de ce Haut Conseil, Pierre-Yves Chanu plaide pour l’autonomie des finances de la Sécurité sociale et considère ce rapport comme « un point d’appui ».

– Jusqu’à présent, le Haut Conseil du Financement de la Protection sociale avait peu fait parler de lui. Il faut qu’il ait de réelles inquiétudes pour la Sécurité sociale pour faire un tel état des lieux ?

Le Haut Conseil du Financement de la Protection sociale est une institution récente. Créé en 2012, il est placé auprès du Premier ministre et est composé de partenaires sociaux, d’experts et de représentants d’organismes de protection sociale. Avec ce rapport, on voit qu’il fonctionne comme une structure indépendante et qu’il ne s’interdit pas de constater que la rationalité de la politique gouvernementale est en cause. Il est vrai que ce rapport manifeste une inquiétude et traduit un vrai attachement de ses membres à la Sécurité sociale. 

Les mesures « Gilets Jaunes » de la loi MUES et le retournement de conjoncture mettent en évidence le danger des transferts des excédents de la Sécurité sociale au budget de l’Etat et de la non compensation par l’Etat à la Sécurité sociale de certaines exonérations. Le rapport s’étonne du ‘’peu d’informations sur les motivations justifiant ce transfert’’ des excédents et considère que n’apparaît pas ‘’clairement la philosophie qui présiderait demain à la détermination du choix de compenser ou non une perte de recette nouvelle ‘’. Au jour d’aujourd’hui, on ne sait pas si les mesures MUES seront compensées. 

– Que pensez-vous de cette atteinte aux finances de la Sécurité sociale ?

Cela fait un an que nous alertons à ce sujet. Il faut se mobiliser pour défendre l’autonomie des finances de la Sécurité sociale et on peut considérer ce rapport du Haut Conseil comme un point d’appui. Dans la perspective d’excédents, la philosophie du gouvernement était que ceux-ci devaient venir renflouer le budget de l’Etat, une partie étant consacrée au désendettement. Par ailleurs, le principe est désormais posé que les exonérations de cotisations doivent être financées par la Sécurité sociale elle-même, à l’exception de quelques exonérations ciblées. On peut dire qu’il s’agit de transformations systémiques.

D’une certaine façon, le budget de la Sécurité sociale a été très largement étatisé sans débat public. Un constat d’autant plus évident si l’on ajoute le transfert sur la CSG d’une partie des cotisations sociales, la transformation du CICE en baisses de charges et le financement massif de la Sécurité sociale par la TVA (+36,3 milliards d’euros). Comme le rapport, nous sommes inquiets car on peut dire qu’il y a un manque de lisibilité sur le long terme du niveau des recettes destinées à financer la protection sociale.

– Du fait de cette nouvelle politique de non compensation des exonérations, la Sécurité sociale va voir son déficit à nouveau se creuser. Quelles conséquences cela peut-il avoir pour l’avenir ?

Le rapport note que la non compensation des exonérations introduite par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 représentait 2,4 milliards d’euros et qu’avec l’impact de la loi MUES, elle va coûter 5,2 milliards d’euros à la Sécurité sociale. C’est une politique qui tire un trait sur les besoins de secteur de la santé qui sont gigantesques, notamment si l’on pense à la situation de l’hôpital public. Il devrait y avoir un débat sur cette politique de non compensation.

Pour l’avenir, le retour d’un déficit important des comptes de la Sécurité sociale risque de justifier de nouvelles économies : recul de l’âge de la retraite, économies sur l’assurance maladie. La protection sociale est mise à mal. 

* Rapport du Haut Conseil pour le Financement de la Protection sociale (HCFI-PS) du 10 mai 2019 : Etat des lieux du financement de la protection sociale