Marie-Anne Montchamp * préside le conseil de la CNSA (Caisse nationale de Solidarité pour l’Autonomie) depuis octobre 2017. A la veille de la création annoncée d’une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie, elle donne ici son point de vue sur cette réforme qui doit permettre une meilleure prise en charge du grand âge : « Il faut qu’il y ait un consentement des Français. Si on leur propose de simples Ehpad, ils ne seront pas au rendez-vous ». Marie-Anne Montchamp estime qu’il faut privilégier le maintien à domicile et aller vers des Ehpad « qui ressemblent à des domiciles ». Elle estime que les mutuelles, qui ont un lien irremplaçable avec leurs adhérents, doivent être parties prenantes de cette réforme, dans le lien, l’accompagnement, l’aide à domicile : « Les mutuelles ont un défi à relever ».
– Nous sommes à la veille de la création d’une 5ème branche de la Sécurité sociale qui sera dédiée à l’autonomie. Quelle est votre appréciation de cette réforme annoncée ?
C’est une réforme potentiellement historique. Si la réforme avait été déjà faite, on aurait mieux traversé la crise sanitaire : les personnes âgées auraient été moins en danger dans les Ehpad et n’auraient pas été contraintes à l’isolement. Nous étions sur le modèle de la relégation du grand âge, comme l’avait déploré le Comité consultatif national d’Ethique dans un avis du 15 février 2018. Cela n’est plus possible.
Précisément sur cette 5ème branche dont la gouvernance devrait revenir à la CNSA, j’estime qu’il faut donner à la CNSA la capacité de piloter le périmètre de l’autonomie sous tous ses aspects : le soin, le matériel, le logement, l’accompagnement en prévention de la relégation. C’est un tel pilotage national qui doit permettre d’articuler les divers financements et de contractualiser avec les départements pour des réponses territoriales. Aujourd’hui la dépense publique totale annuelle est estimée à 23 milliards d’euros et le reste à charge à 7 milliards d’euros. Le besoin de financement est, quant à lui, estimé à 6 milliards d’euros par an à partir de 2024 et à 9 milliards d’euros par an à partir de 2030. On va pouvoir compter sur 2,3 milliards d’euros annuels provenant de 0,15 point de CSG en 2024. Il faudra donc d’autres financements, pluriels et pérennes. Je suis confiante. Mais, pour cela, il faut qu’il y ait un consentement des Français. Si on leur propose de simples Ehpad, ils ne seront pas au rendez-vous. Le modèle « domicile » doit être prêt pour 2030.
La crise sanitaire nous amène à mettre œuvre une vraie mutation : la philosophie de l’Ehpad de demain, c’est un lieu qui est là seulement pour ceux qui ne peuvent vraiment pas rester à leur domicile, c’est un lieu qui ressemble à un domicile, et c’est une plateforme ressource pour tous (pour des conseils, pour des pauses, des allers retours domicile-Ehpad).
– Quelle place pour les mutuelles dans cette nouvelle prise en charge de l’autonomie ?
« C’est la philosophie mutualiste qui est à l’origine de la protection sociale. Les mutuelles ont donc une carte à jouer. Elles doivent s’inscrire dans la fabrique de cette réforme et faire profiter le secteur de l’autonomie de leurs atouts ».
Elles ont l’avantage, tout en étant assureur, d’avoir établi un lien spécifique avec chaque adhérent, souvent dans une logique affinitaire. C’est inestimable. Elles doivent apporter leur contribution dans le lien social, l’accompagnement, l’aide à domicile. On a besoin des mutuelles car elles sont à but non lucratif et car elles ont un lien irremplaçable avec les personnes. Il y a un défi à relever pour les mutuelles. Elles ne doivent pas seulement répondre à l’enjeu de l’autonomie en proposant une assurance dépendance.
Par ailleurs, je crois profondément à l’importance d’un système mixte qui combine la solidarité nationale et des organismes tels que les mutuelles. Cela donne plus d’agilité aux dispositifs et cela garantit d’être en phase avec les aspirations et les besoins.
– Dans votre livre, vous portez un regard critique sur les résultats des politiques sociales. Quelles sont les pistes à mettre en œuvre pour améliorer les choses ?
Il est indispensable d’identifier les bénéficiaires des réformes de façon beaucoup plus précise. La fabrique de la réforme doit être profondément améliorée. Aujourd’hui, on part d’études théoriques, on fait une réforme et ensuite on mesure les écarts entre les intentions et le résultat. Ce n’est pas satisfaisant. Certains publics qui devraient bénéficier de réformes, comme le RSA par exemple, en sont éloignés.
Cela demande une vraie volonté de mettre en place une démocratie sanitaire d’envergure qui associerait les professionnels, les élus, les bénéficiaires, l’Etat et les mutuelles. Cela devrait se concrétiser, à mon sens, par le développement de lieux d’accueil sanitaires, aussi bien des maisons de santé avec des médecins que des centres sanitaires de conseil et d’accompagnement.
– Quels enseignements tirez-vous de la crise sanitaire que nous vivons ?
Ce que la crise a mis sous nos yeux, c’est la surexposition de la protection sociale à de nouveaux risques : climat, pandémie, vieillissement. Déjà, c’est en réponse à la canicule de 2003 qui avait fait 15 000 morts que la CNSA a été créée par la loi du 30 juin 2004. Aujourd’hui, nous devons de la même façon adapter notre protection sociale au monde qui est le nôtre. C’est important d’avoir le regard des pères fondateurs de 1945, qui furent tellement inventifs et responsables. La 5ème branche est un des points d’espoir du moment, malgré tout ce drame.
* Marie-Anne Montchamp vient de publier Tout citoyen est une personne, La France face