« Aujourd’hui, le risque est réel que la Sécurité sociale soit fondamentalement remise en cause », Frédéric Rauch, économiste spécialiste de la protection sociale

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Titulaire d’un DEA d’économie du travail et des politiques sociales de l’université de Paris X-Nanterre, Frédéric Rauch fut responsable du service économique du comité d’entreprise de la CPAM de Paris, puis collaborateur parlementaire sur les questions sociales et de protection sociale au Sénat et à l’Assemblée nationale. Il est aujourd’hui rédacteur en chef de la revue Économie et Politique. Il revient pour nous sur la situation de notre système de protection sociale.

Que penser du poids de la crise sanitaire sur les comptes de la Sécurité sociale ?

Frédéric Rauch : Il n’est pas négligeable, et en même temps, il n’est pas catastrophique. On estime pour 2020-2021 que le coût de la pandémie pour les comptes de la Sécurité sociale s’élèvent à 33,1 Md€ de dépenses supplémentaires directes. 18,3 Md€ pour 2020 et 14,8 Md€ pour 2021. Dans le même temps, on estime que le montant des dépenses non-réalisées par l’assurance maladie s’élève à près de 15 Md€ pour 2021. Ce qui signifie que bon an mal an, les surcoûts Covid sont compensés l’année même par les reports des prises en charge sur les malades « conventionnels ». Compte tenu des effets potentiels sur le risque vital de ces reports, il est fort probable qu’il faille dans un avenir plus ou moins proche inscrire ces dépenses a priori évitables dans la colonne des dépenses Covid implicites. Mais il n’est pas encore possible de les chiffrer sérieusement.

En revanche, il y a un coût pour la Sécurité sociale que l’on aborde qu’assez rarement, c’est celui des pertes de recettes imputables aux stratégies de gestion de leur emploi par les entreprises et aux mesures gouvernementales qui les ont accompagnées pendant cette pandémie. Or il est très important.

C’est incontestable, le Covid a eu un effet sur l’emploi et les salaires dans les entreprises. Pour répondre à la chute de la demande et à la baisse de l’activité, les entreprises ont pesé sur leurs coûts et en particulier sur le « coût du travail ». Elles ont développé le chômage partiel et l’emploi précaire, ou pour certaines, ont licencié leurs personnels.

A titre d’illustration pour la seule année 2020, entre mars et décembre, le nombre de PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi) était de 757 (500 en 2019). Si on regarde les ruptures conventionnelles, la baisse de leur nombre en 2020 imputable à l’arrêt de l’activité, a été largement rattrapée en 2021. Après les 425 000 ruptures conventionnelles de 2020, 2021 a retrouvé l’étiage et le rythme des années pré-Covid avec 455 000 ruptures homologuées et + 1,7 % par rapport à 2019 (et 
+ 5,9 % par rapport à 2020). La conséquence est une réduction significative des recettes de la Sécurité sociale.

« La pandémie a donné raison aux professionnels qui nous alertaient sur la situation de l’hôpital », Frédéric Rauch, économiste spécialiste de la protection sociale
Frédéric Rauch, économiste spécialiste de la protection sociale

Le gouvernement pourrait-il en profiter pour remettre en cause son modèle ?

F. R. : Le gouvernement a mis en place un soutien massif au chômage partiel à partir des fonds publics, qui s’est traduit par des allègements de « charges sociales » dont une large partie n’est pas compensée à la Sécurité sociale. L’impact de ces décisions gouvernementales qui ont privilégié des mesures de soutiens aux entreprises exonérées de cotisations sociales est significatif pour la Sécurité sociale puisque la masse salariale soumise à cotisations sociales s’est réduite de 5,7 % en 2020, alors que la contraction de la masse salariale globale n’a été que de 1,6 % ! Les données manquent pour 2021, mais le mouvement a été le même. Au total, le rendement des cotisations sociales sur la période n’a pas poursuivi sa hausse normale.

Ce « rendement » reviendra-t-il à la normale ?

F. R. : Rien n’est moins sûr. Car la réalité économique est en train de changer de fond en comble. Les marchés financiers et les grands investisseurs ont appris de la crise sanitaire et ne semblent pas prêts à revenir à la situation antérieure. Ils en font un moyen d’accentuer leur emprise sur l’ensemble de la société. En témoigne, la volonté d’enclencher et d’appuyer un processus spéculatif majeur et planétaire sur les matières premières, sur l’énergie, sur les biens de consommation courante… Cela se traduit par une déstabilisation des flux économiques et des échanges, et par une inflation massive dont les consommateurs mais aussi les travailleurs et les TPE/PME sont les premières victimes. Et par effet ricochet, l’ensemble des institutions dont les financements sont assis sur la richesse créée dans l’entreprise, comme la Sécurité sociale. Ce mouvement de fragilisation de l’emploi, sa précarisation, le ralentissement de l’évolution salariale, que le traitement gouvernemental du Covid a aussi amplifié, fragilise très concrètement les ressources de la Sécurité sociale. Car rappelons-le encore ici, la Sécurité sociale est tributaire de l’emploi et des salaires versés…

Le gouvernement va-t-il se servir de cette situation pour remettre en cause le modèle de la Sécurité sociale ?

F. R. : Sans aucun doute. Mais cette volonté n’est pas nouvelle. C’est depuis que la Sécurité sociale a été créée que ceux qui s’y sont opposés ont systématiquement cherché à remettre cause son modèle. Toutes les réformes qu’elle a subies ont eu cet objectif-là : remettre en cause un système qui prend en charge selon les besoins et non selon les moyens, et qui puise les moyens de financement de son activité directement dans la richesse créée dans l’entreprise et non dans les revenus des ménages ou de l’État. Et il faut reconnaître que ces attaques ont porté de vrais coups à la philosophie de la Sécurité sociale. Mais la nouveauté est que le contexte de crise systémique dans lequel nous sommes laisse de réelles opportunités pour réaliser un changement définitif de modèle de protection sociale en France. Alors oui, aujourd’hui, le risque est réel que la Sécurité sociale soit fondamentalement remise en cause…

Quelles sont aujourd’hui les solutions pour se sortir de la crise que connaît la protection sociale ?

F. R. : La protection sociale est face à deux défis essentiels qui conduisent à la repenser pour l’adapter à notre temps. Le premier est celui des évolutions démographiques et des avancées scientifiques en matière médicales conjuguées à l’évolution des pathologies. C’est ce qu’on peut appeler le défi des savoirs. Le second est celui de ses financements impactés par les politiques d’austérité et les politiques de gestion des entreprises.

Le premier défi est connu. Nous vivons un temps d’évolutions importantes. Le vieillissement de la population (dans toute l’Europe notamment) réoriente fondamentalement le type de réponse sociale qu’il faut pouvoir apporter aujourd’hui. Si l’on veut rester sur un haut niveau de protection sociale de la population, il est bien évident que le besoin d’affecter une part plus importante de la richesse produite au financement des retraites devient une question sociale majeure. Il en va de même pour l’investissement dans la prise en charge médicale. Le vieillissement implique un suivi médical plus poussé dans la durée, qui est désastreux lorsqu’il n’existe pas, on l’a vu dans le traitement de la pandémie de Covid où les plus âgés ont été littéralement sacrifiés.

Enfin, le vieillissement de la population, résultant à la fois d’un allongement de la durée de la vie et d’un ralentissement de la dynamique de natalité, impose aussi une relance des politiques familiales et du soutien de la natalité, ou encore une politique d’immigration active, si l’on veut maintenir un équilibre démographique.

Selon vous, la problématique du vieillissement est loin d’être marginale…

F. R. : Elle ne soulève pas que des questions éthiques ou de justice, elle pose un choix de civilisation. Dans une société qui a mis au cœur de son fonctionnement l’activité productive, quelle place notre société accepte-t-elle d’accorder à ceux qui ne travaillent plus ? Quelle réponse apportons-nous collectivement aux questions du temps de travail, du rôle du travail, de la production de richesses et des modalités de cette production, et de la répartition de ces richesses ? Etc.

C’est peu dire que les antibiotiques ont transformé la pratique médicale et même sanitaire au sens large. Mais nous vivons aussi aujourd’hui une nouvelle révolution médicale. Les bio-médicaments sont en train de transformer le champ de la pratique médicale. La novation est telle que l’on parle de guérir des maladies aujourd’hui incurables. De même, avec la cybernétique, la technologie et les techniques médicales se modifient en profondeur. Le fait de pouvoir opérer à distance par exemple ou de faire un diagnostic médical épaulé par un ordinateur est une révolution de la pratique médicale. Ou encore de faire marcher des personnes paralysées, de faire voir des aveugles ou de permettre à ceux qui ne le peuvent pas aujourd’hui de communiquer via l’ordinateur, au moyen d’une augmentation des capacités humaines, tout cela constitue aussi une profonde révolution. Évidemment, ces avancées ne sont pas sans poser des questions éthiques, mais elles donnent de nouvelles perspectives à la lutte contre la mort (physique ou symbolique) au cœur de la pratique médicale et de nos sociétés occidentales. Or il est bien évident aussi qu’elle soulève de vraies questions quant à la place de la Sécurité sociale dans ce contexte, puisqu’à la fois il faut mobiliser plus d’argent pour cette avancée, et que la protection sociale ne peut plus se contenter d’organiser la distribution d’un revenu de substitution.

Frais de gestion : « une erreur sémantique »

Cette évolution des pratiques médicales va de pair avec l’évolution des pathologies. Désormais le caractère chronique de certaines pathologies s’ajoute au grand tableau des maladies. Imputable à la détérioration de l’environnement et à ses effets sur la santé humaine et animale, autant qu’aux techniques de médication qui s’améliorent et s’adaptent à cette évolution, la chronicité des maladies modifie radicalement le rôle de la Sécurité sociale. Là où auparavant le soin était mobilisé ponctuellement pour réparer, l’exercice du soin travaille aujourd’hui au maintien de la vie la meilleure possible parfois sans perspective de guérison. Son coût est donc plus élevé puisque la prise en charge peut durer longtemps. Et sa pratique doit aussi s’articuler avec l’ensemble du cadre social dans lequel elle se fait ou bien faire bouger ce cadre pour l’adapter à elle. Ce que l’on peut d’ailleurs mesurer par la territorialisation des politiques de santé qui inclut de nouvelles institutions et de nouveaux services publics dans le champ de la santé. Ce qui signifie que le périmètre d’intervention sanitaire par exemple (mais on peut aussi élargir à l’ensemble de la protection sociale) se modifie fondamentalement, tout comme les institutions qui la constituent.

Autant dire que ces évolutions des pratiques médicales et des pathologies ajoutent au besoin de poser les termes du débat public sur la protection sociale du XXIe siècle en terme de choix de civilisation, de choix de société. Parce que, et c’est à mon sens la raison du second défi essentiel de la protection sociale, les choix faits actuellement en matière de protection sociale entérinent assez clairement, sans réel débat public éclairé et sous couvert d’un traitement technique de la question, une option de civilisation en subordonnant l’évolution de la protection sociale à d’autres impératifs que la réponse aux besoins sociaux des populations, notamment à des impératifs économiques et financiers.

Car c’est bien ce qui caractérise la crise de la protection sociale aujourd’hui. On l’a dit précédemment, ce qui caractérise les difficultés de la protection sociale dans l’exercice de ses missions actuelles, c’est tout simplement son manque de moyens. La protection sociale, dont la Sécurité sociale qui en est le cœur, ne souffre pas d’un excès de dépenses mais d’une insuffisance de recettes. Or les raisons de cette insuffisance sont clairement identifiées. Elles trouvent leur source dans les politiques d’austérité et dans la financiarisation des gestions d’entreprise. Les premières réduisent la mobilisation des ressources financières publiques au bénéfice de la réponse socialisée aux besoins sociaux des populations et des territoires pour mieux soutenir la baisse des coûts des entreprises. La seconde sacrifie, en même temps que la production, l’emploi stable et les salaires, et donc la capacité de prélèvements fiscaux et sociaux sur la richesse créée dans l’entreprise, pour mieux servir la rémunération du capital censée être à l’origine de la création des richesses. Ces raisons répondent à des choix idéologiques. Elles ne sont rien de moins qu’un choix de civilisation qui fait de la protection sociale, non un facteur d’efficacité sociale du développement de notre société, mais un supplément d’âme de notre modèle économique et de société pour lequel la priorité est de rémunérer le capital avec la richesse créée dans les entreprises, puis, au cas où il resterait quelque chose, de s’en servir pour répondre aux besoins sociaux. C’est la philosophie du ruissellement, de la maîtrise des dépenses publiques et sociales, de l’exigence de baisse du coût du travail, etc.

Comment sortir la protection sociale de la crise dans laquelle elle est ?

F. R. : Notre capacité à sortir la protection sociale de la crise dans laquelle elle est, et sortir de la crise systémique qui travaille notre économie et nos sociétés, consiste justement à opérer un renversement des valeurs et des priorités. Ce qui suppose de s’attaquer frontalement aux logiques qui imposent la rémunération du capital comme fin et moyen de notre développement. Je n’évoquerai ici que trois pistes de travail, en rappelant en préalable que ces pistes ne se conçoivent qu’en parallèle d’une remise en cause des politiques d’austérité, d’une part, et de la promotion d’une politique de financement active des services publics, d’autre part.

La financiarisation des gestions d’entreprise s’est traduite par la mainmise des objectifs financiers sur l’ensemble des objectifs de développement des entreprises. Non seulement les objectifs industriels sont passés au second plan des priorités entrepreneuriales, mais tous les facteurs de production et l’organisation de la production ont été totalement subordonnés aux objectifs de rentabilité financière à court terme. Avec tous les effets que l’on sait sur les conditions sociales d’existence, mais aussi écologiques.

Est-il possible de chiffrer cette mainmise de la finance ?

F. R. : Il existe en 2020, selon nos calculs effectués à partir des Comptes de la Nation, 215,2 milliards d’euros de revenus financiers des entreprises et des banques. C’est-à-dire qu’en 2020, pas moins de 215,2 milliards d’euros ont été sortis du circuit de la production pour rémunérer le capital. 174,6 milliards d’euros au titre des produits financiers des sociétés non financières (dividendes reçus + intérêts perçus, inclus les revenus des investissements directs étrangers). Et 70,6 milliards d’euros de revenus financiers des sociétés financières (dividendes reçus + solde des intérêts versés/perçus).

La particularité de ces revenus financiers est qu’ils sont issus de la richesse créée dans l’entreprise par le travail des salariés mais échappent à toutes cotisations sociales ou taxes sociales. On pourrait donc très logiquement les soumettre à cotisations sociales patronales. Ainsi, sur une base de revenus financiers de 2020 et des taux actuels de cotisations patronales, on pourrait dégager :

  • 28,219 milliards pour la maladie (13,1 %)
  • 17,8613 milliards pour la retraite (8,3 %)
  • 11,6208 milliards pour la famille (5,4 %)

Ces plus de 57 milliards d’euros par an permettraient de compenser dans l’immédiat le déficit de la Sécurité sociale imputable à la crise du Covid et à la crise économique, de commencer à réduire les prélèvements de CSG qui ne pèsent que sur les revenus des ménages, de mener une politique sociale active visant à répondre aux nouveaux besoins sociaux, en particulier pour l’hôpital public et les Ehpad, et d’augmenter le soutien aux familles. Et cerise sur le gâteau, cela contribuerait dans le même temps à réorienter l’activité économique vers la production de richesses réelles au lieu d’alimenter la spéculation.

Ces ressources d’origine financière ayant vocation à disparaître avec la dé-financiarisation des entreprises, des solutions plus structurelles doivent être recherchées pour assurer une dynamique de financement pérenne de la Sécurité sociale.

Quelles seraient les solutions ?

F. R. : La modulation des cotisations patronales en fonction des politiques de gestion de l’emploi dans l’entreprise en est une. L’idée est simple. Elle repose sur l’affirmation de la cotisation sociale comme source de financement de la Sécurité sociale, mais elle cherche à répondre au problème qui est posé par les limites de son assiette. En effet, les limites de l’assiette actuelle de calcul des cotisations patronales sont liées au type de politique économique et de gestion des entreprises, tout particulièrement en matière d’emploi. Si une entreprise réalise ses profits en diminuant ses emplois, elle est moins prélevée pour le financement de la Sécurité sociale. Et inversement.

Toute réforme du financement de la Sécurité sociale qui affirme la cotisation sociale comme source de financement doit donc impérativement articuler la hausse des cotisations patronales avec le niveau d’emplois dans l’entreprise. Ainsi, dans le cadre d’une hausse générale des cotisations patronales, au sein d’une même branche d’activité, les entreprises qui ont une politique de développement de l’emploi, des qualifications et des salaires, qui embauchent, se verraient privilégiées par une réduction relative du niveau de leurs prélèvements sociaux par rapport aux entreprises de leur branche. A l’inverse, celles qui privilégient les revenus financiers en détruisant l’emploi et en développant la précarité, celles-là seraient sur-prélevées. Il s’agit ainsi de responsabiliser socialement les entreprises quant au développement de l’emploi, des salaires.

Enfin, et c’est l’option la plus structurante du débat sur un renouveau du financement de la Sécurité sociale, si l’on cherche à pérenniser une dynamique de financement socialement efficace, on ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les moyens de sécuriser l’emploi dans les entreprises dans un contexte de transformation permanent du processus productif.

En effet, si la financiarisation des gestions d’entreprise produit de la précarité salariale et d’emploi, la transformation des process par l’introduction de la révolution informationnelle et de la cybernétique y contribue aussi significativement. Toutes les études convergent pour dire que l’automatisation des process industriels s’est étendue aux services, entraînant une disparition de certains métiers et le besoin de se retourner vers d’autres métiers. On assiste à une refonte complète de la structure des emplois dans tous les pays occidentaux. Ceci conduisant à penser que si rien n’est fait pour y remédier, les sources de financement de la Sécurité sociale, mais aussi plus globalement les potentialités fiscales des ménages, vont se tarir.

Selon vous, c’est tout le financement de la protection sociale qui est ainsi en jeu

F. R. : Pour répondre à cette évolution des normes de production et des métiers sans en faire un couperet pour les salariés, il faut être en capacité, d’une part, de sécuriser les emplois et les revenus salariaux pour que les besoins d’évolution des entreprises à la recherche d’une meilleure efficacité productive ne soient pas bloqués, et d’autre part, de former en permanence les salariés pour qu’ils puissent ne pas avoir à subir les effets de ces mobilités par le chômage et la relégation sociale, mieux, pour qu’ils puissent choisir les modalités de leur propre trajectoire de mobilité professionnelle. Cette sécurité d’emploi et de formation qui se conçoit comme la possibilité institutionnelle d’un aller-retour permanent et choisi par le salarié entre un temps d’emploi et un temps de formation pour un autre emploi, sans perte de salaire entre les deux emplois, serait ainsi le moyen de refonder la relation d’emploi dans le sens d’un nouveau type de croissance centré sur le développement des capacités humaines, et non plus sur la recherche de profitabilité immédiate au service du capital. En mobilisant la politique de l’emploi et tous ses services publics pour cette sécurité d’emploi et de formation, en mobilisant les services publics de la formation initiale et la formation professionnelle initiale et continue, mais aussi les financements patronaux de la formation professionnelle, il serait possible de mettre en œuvre un service public nouveau dont l’objet serait d’organiser institutionnellement et progressivement cette sécurisation des trajectoires de vie. Les sources de financement de la Sécurité sociale seraient alors définitivement sécurisées.

La tâche est ambitieuse, et sans conteste possible mais difficile. Cependant, elle a l’avantage d’ouvrir une perspective nouvelle pour la protection sociale bien sûr, mais aussi pour la société. Car elle ouvre la porte à un autre projet de civilisation que celui qui nous est imposé aujourd’hui. Elle rappelle que la solution de protection sociale choisie pour répondre aux besoins sociaux est de nature politique, et non pas technique.

Au cours des récentes élections, quelle a été la place accordée notre système de protection sociale ?

F. R. : Malheureusement la question de la protection sociale, et celle de la Sécurité sociale, n’est pas au cœur du débat politique public où, tout du moins, elle n’occupe pas la place qui devrait être la sienne dans ce débat. Bien sûr beaucoup de candidats, essentiellement de gauche, mettent la question du pouvoir d’achat et de la lutte contre la précarité au cœur de leurs préoccupations. Ils essaient de répondre aux enjeux de l’hôpital, de la retraite… Et c’est tant mieux.

Mais la protection sociale, c’est un sujet qui va bien au-delà de ça. Il s’agit d’interroger un modèle de société. La nature de la protection sociale que nous portons définit la nature de la société dans laquelle nous voulons vivre. Assurer un haut niveau de protection sociale, c’est se donner les moyens de le faire. C’est-à-dire, c’est se donner les moyens tant institutionnels que sociaux et politiques d’organiser la création de richesses du pays et sa répartition en fonction des objectifs sociaux à atteindre. C’est-à-dire accepter collectivement de peser, de prendre la main sur les pouvoirs politiques, économiques, financiers qui organisent actuellement la création de richesse et sa répartition. La protection sociale, et la Sécurité sociale notamment, c’est fondamentalement un choix politique ! Or le niveau de débat public sur le sujet ne m’apparaît pas à la hauteur de l’enjeu.

Néanmoins, les dernières annonces d’Emmanuel Macron sur les retraites et l’hôpital vont être l’occasion de réinvestir le débat. Rien n’est encore définitivement joué. Le combat continue comme dit l’autre…