Budget de la Sécu : « ambitieux en façade, le projet de loi n’apporte finalement aucune réponse », Pascale Vatel, secrétaire générale des Mutuelles de France

Pascale Vatel, Secrétaire générale des Mutuelles de France © Fabrice Mangeot
Pascale Vatel, Secrétaire générale des Mutuelles de France © Fabrice Mangeot

Dans le cadre de ses fonctions au sein de la Fédération des mutuelles de France (FMF), de la délégation mutualiste de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (Cnam) et de celle de l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (Unocam), Pascale Vatel a eu l’occasion d’analyser en détail le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). La secrétaire générale de la FMF livre à la rédaction de Viva son sentiment sur les ambitions affichées du PLFSS, ainsi que sur les problèmes de sous-financement de la Sécu.

Que pensez-vous de l’utilisation par le gouvernement de l’article 49 alinéa 3 pour faire passer, sans vote, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 ?

Pascale Vatel : Le déclenchement du 49-3 était annoncé. Il en était déjà question lorsque le projet de loi a été présenté fin septembre au Conseil des ministres. La procédure paraissait d’autant plus prévisible que le gouvernement ne bénéficie plus d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale depuis les dernières législatives de juin 2022. Nous espérions pourtant échapper à cette procédure, mais cela n’a, hélas, pas été le cas. Nous en sommes très inquiets, au sein de la Fédération des mutuelles de France (FMF), pour la démocratie sanitaire et parlementaire, et pour la société. Le financement de la Sécurité sociale est en effet un sujet de première importance, qui concerne la vie intime de chacune et chacun. Il est invraisemblable de priver la population et ses représentants de débats et de vote sur cette thématique, qui plus est au moment où nous sommes confrontés à des crises si profondes.

Quel a été votre sentiment lorsque vous avez pris connaissance de ce dernier PLFSS ?

Pascale Vatel : C’est un projet de loi qui se présente comme très ambitieux, mais cela ne reste que de la façade. Car en le décortiquant, on voit vite qu’il n’apporte finalement aucune réponse aux crises de notre système de santé.

Quels manquements avez-vous pu identifier ?

Pascale Vatel : Le PLFSS de 2023 souffre d’un vrai problème de financement. Les moyens avancés sont clairement insuffisants pour mettre en œuvre les ambitions affichées. La Sécurité sociale souffre d’un sous-financement chronique depuis des dizaines d’années qui se poursuit encore cette année. Ce manque de moyens se traduit  en particulier par la baisse de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), soit le montant des dépenses pour les remboursements de soins mais aussi le financement des hôpitaux, de la médecine de ville, des Ehpad et établissements pour personnes en situation de handicap pour 2023.

Pourtant, le gouvernement annonce pour l’Ondam une progression de +3,7 %, qu’en pensez-vous ?

Pascale Vatel : Cette hausse affichée des dépenses de l’Assurance maladie reste bien inférieure au montant de l’inflation (ndlr : selon les prévisions annoncées fin octobre 2022, l’inflation en France serait de 5 % au début de l’année 2023) et devra couvrir des mesures déjà programmées. De plus, pour afficher cette hausse, le gouvernement raisonne hors pandémie. Mais le Covid est toujours là : les vaccins, les masques, les malades… Dans ce cadre plus que contraint, il est impossible d’engager une vraie réforme structurelle de notre système de santé. Lorsque nous analysons dans le détail les montants des « sous-Ondam », c’est-à-dire des dépenses prévues pour l’hôpital, les soins de ville et le médico-social, l’insuffisance des moyens alloués est également criante alors que notre système craque de toutes parts.

Qu’est-il prévu pour l’hôpital ?

Pascale Vatel : Le montant des dépenses hospitalières prévues a été rehaussé de +4,1 %, soit environ 4 milliards d’euros. Au premier abord, ce chiffre peut paraître important. Mais il faut retirer 3,6 milliards d’euros de mesures déjà programmées (Ségur de la santé, hausse du point d’indice à l’hôpital, revalorisations des salaires…), sans oublier l’inflation sur les frais d’hôtellerie et les fournitures médicales. Au final, les marges de manœuvre sont plus que réduites pour faire face à la crise actuelle, où après avoir fermé des services d’urgence cet été, ce sont maintenant les pédiatres qui alertent sur la mise en danger de nos tous petits. Depuis des années, les professionnels de l’hôpital tirent la sonnette d’alarme. Le Ségur de la santé n’est pas à la hauteur pour assurer une vraie reconnaissance de leur travail. Dans ces conditions, mettre en œuvre une vraie politique de formation, de recrutement et d’investissement durable dans l’hôpital est irréalisable.

Et au sujet des soins de ville et du secteur médico-social ?

Pascale Vatel : Là aussi, les montants sont clairement insuffisants. Concernant les soins de ville, une faible progression de +2,9 % est annoncée. Il ne sera donc pas possible d’engager la réorganisation du système de soins de premier recours qui s’impose aujourd’hui. La seule revalorisation des tarifs des actes n’est pas une politique. Il est indispensable de mettre réellement en œuvre un exercice coordonné des soins, avec partage de tâches et de compétences entre médecins et autres professionnels de santé et de s’assurer de la présence de médecins dans tous les territoires. Cela exige de définir la juste rémunération de chacun et mettre fin aux scandaleux dépassements d’honoraires qui progressent. Cette enveloppe ne le permettra pas. Et il en va de même pour le secteur médico-social.

Quel budget a été alloué au secteur médico-social ?

Pascale Vatel : La progression annoncée pour les dépenses de santé est de 5 %. Ce qui représente environ 700 millions d’euros pour les établissements accueillant les personnes âgées et 700 millions d’euros pour ceux réservés aux personnes en situation de handicap. Or, la pénurie de personnels dans ces établissements est si forte, que ces montants ne seront pas suffisants pour d’abord occuper tous les postes déjà non pourvus et ensuite honorer la promesse du gouvernement de créer 3 000 postes supplémentaires en 2023. D’autant qu’il faudra, dans le même temps, éponger l’inflation pour ses établissements dont les coûts fixes sont par nature importants (locaux, chauffage, nourriture…). Enfin, pour terminer sur les besoins en matière de prévention et de prise en charge de la perte d’autonomie, ce PLFSS affiche un vide sidéral.

Le 19 octobre dernier, lors d’une audition au Sénat et dans le cadre des échanges autour du PLFSS, Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) annonçait une participation pour les complémentaires santé de 150 millions d’euros pour boucler le budget de la Sécu. Pourriez-vous nous apporter plus de précisions ?

Pascale Vatel : Effectivement, en raison du manque de ressources allouées par le gouvernement au budget de la Sécurité sociale, l’assurance maladie est obligée de chercher des recettes un peu partout ailleurs, et notamment dans les poches des mutualistes. Ce transfert de charge vers les organismes complémentaires, dont les mutuelles, s’élèvera à 300 millions d’euros par an à partir de 2024, et sera de 150 millions sur 2023. Ces nouveaux transferts, en plus de l’évolution naturelle des dépenses de santé, du Reste à Charge Zéro appelé « 100 % santé » et des taxes sur les cotisations mutualistes, vont inévitablement alourdir les cotisations des adhérents des mutuelles,

A combien s’élèvent ces taxes ?

Pascale Vatel : À mesure que les financements de la Sécu baissent, les taxes gouvernementales ponctionnées sur les cotisations des adhérents augmentent. Elles s’élèvent aujourd’hui à plus de 14 %, ce qui représente deux mois de cotisations par an pour les adhérents. Cette taxation pèse de plus en plus lourd dans les budgets des ménages et représente un véritable frein dans l’accès aux soins. Nous le réaffirmons, le gouvernement dispose d’un moyen immédiat pour améliorer l’accès aux soins et redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens, c’est de supprimer ces taxes. Nous allons d’ailleurs réactiver notre campagne « Pas de taxe sur ma santé » pour le réclamer permettant à chacun d’interpeller les parlementaires.

Il y a quelques mois le ministère de la santé modifiait son appellation en ministère de la Santé et de la Prévention. Les dépenses allouées aux actions préventives sont-elles à la hauteur de cette ambition affichée ?

Pascale Vatel : La prévention reste toujours le parent pauvre de la santé, comme le montre encore une fois, son sous-financement dans le PLFSS pour 2023. Il faut néanmoins reconnaître quelques mesures utiles comme l’accès à la contraception d’urgence gratuite et sans ordonnance, et les dépistages possibles sans prescription médicale pour les infections sexuellement transmissibles… Nous sommes néanmoins plus sceptiques sur le sujet des visites médicales à des âges clés. Sur le papier, il peut s’agir d’une très bonne chose. Mais compte-tenu des difficultés actuelles rencontrées par les médecins, il est légitime de s’interroger sur leur capacité à réaliser ces nouvelles consultations… Auront-ils réellement le temps de les réaliser ? D’ailleurs le texte du gouvernement prévoit un taux de recours estimé de ces consultations à seulement 15% en 2023 et une montée en puissance progressive par la suite. Quoiqu’il en soit, toutes les mesures présentées paraissent dérisoires face à l’ampleur de la situation et au besoin réel de prévention. Notre pays doit se doter d’une vraie politique de santé pour combattre à la fois les maladies chroniques et les maladies virales – comme le Covid nous en a récemment apporté la preuve  , mais aussi répondre aux nouveaux besoins.

Quelles seront les conséquences de ce sous-financement du budget global de la Sécurité sociale ?

Pascale Vatel : Notre système de santé va encore se dégrader. La situation est déjà pourtant dramatique. Nous l’avons vu cet été avec la fermeture des urgences la nuit dans des communes aussi grandes que celle d’Avignon ou Bordeaux. Le problème des déserts médicaux n’est pas l’apanage de la ruralité, ils se retrouvent aussi dans les grandes métropoles. Les inégalités de santé et d’espérance de vie se creusent. En ne finançant pas suffisamment la Sécurité sociale, le gouvernement sait maintenant qu’il accentue ces écarts et qu’il compromet toujours plus l’accès aux soins et à la prévention. Les salaires des personnels hospitaliers restent insuffisants, et les soignants vont donc continuer à déserter la fonction publique hospitalière. L’accès à une mutuelle devient de plus en plus difficile. Il est urgent de garantir le droit inconditionnel à la santé, de revenir sur un principe de financement de la Sécurité sociale fixé en fonction des besoins réels de la population. Pour cela, toutes les richesses créées doivent contribuer à son financement, ce qui n’est plus le cas.