Covid-19 : mon corps n’est toujours pas une bagnole !

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Pour une démarchandisation et une démocratisation de la santé.
Par Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France

Aux prises avec l’épidémie de Covid-19, les inégalités de santé et d’accès aux soins, inégalités sociales, de genre, d’âge, culturelles, territoriales, ne sont plus solubles dans les « beaux discours » néo-libéraux. Même la charité, plus ou moins bien ordonnée, ne parvient plus à les dissimuler. Ces inégalités apparaissent au grand jour, telles qu’elles sont vécues depuis des décennies, cruelles, injustes, violentes. Elles s’aggravent même et signent l’échec de l’approche marchande de la santé. 

Cet échec est douloureux car la santé et l’accès aux soins sont au cœur de la condition humaine. Leur marchandisation en fait un luxe donc, pour certains, un interdit, alors qu’ils doivent être d’abord  le bien commun de tous. Pour ceux qui en doutaient, l’épidémie rappelle concrètement que nous sommes des êtres sociaux et que la santé d’autrui affecte la santé de chacun. En faisant de la santé un marché de services et de la protection sociale, une part de marché à conquérir, on a individualisé, saucissonné une question sociale globale. 

Il y a trente ans, une campagne mutualiste proclamait déjà : « mon corps n’est pas une bagnole ». Alors que sévit le Covid-19, cette vérité s’impose avec plus de force encore : « mon corps n’est toujours pas une bagnole ! » Alors, c’est une autre société qu’il faut réinventer, « pas à pas, humblement », dit le poète, avec détermination aussi.

Le nouveau modèle que nous voulons ne peut naître que du débat démocratique

Par Jean-Paul Benoît, président de la FMF

Nous n’avons pas besoin d’un « acte 2 » d’un « nouveau départ », d’une « refondation » venue d’en haut… Nous voulons une société des beaux jours plutôt que des beaux discours, une société basée sur un modèle solidaire, libre, créatif et accueillant.

Nous voulons un modèle solidaire qui s’appuie sur une sécurité sociale de haut niveau financée en sollicitant une part de l’ensemble des richesses produites, pour rendre accessible à chacune et à chacun les soins dont il a besoin, quel que soit son genre, son statut, son origine, son âge, son orientation sexuelle, son lieu d’habitation.

Nous voulons un modèle innovant qui tire partie de l’ingéniosité mutualiste, cette longue tradition démocratique qui consiste à mettre des moyens en commun, sans but lucratif, pour répondre aux besoins humains et préserver des aléas de la vie.

Nous voulons un modèle humain, qui considère la patiente, le patient, qui respecte les personnels soignants et non-soignants requis dans la démarche de soins, et offre les moyens de créer des relations de soins fructueuses et bienveillantes.

Nous voulons un modèle social qui garantisse l’accès aux biens de santé que sont les médicaments, les tests de dépistage, les accessoires de santé, par la programmation des besoins, la transparence des processus de fabrication et d’approvisionnement.

Nous voulons un modèle économique qui permette à chacun de s’épanouir dans des conditions de vie, de logement, d’éducation, de culture, de santé dignes.

Nous voulons un modèle politique qui préserve le trésor qu’est la liberté, la liberté d’aller et de venir, la liberté de penser et de dire, la liberté de créer et d’inventer.

Pendant la pandémie de Covid-19, pour faire face à la pénurie de biens de santé, à l’asphyxie financière de l’hôpital public, aux crises non résolues du système de santé, les pouvoirs publics ont fait appel à la responsabilité individuelle. Le confinement et les recommandations de distanciation sociale permettent à notre système de santé d’absorber tant bien que mal le choc épidémique. Demain, il ne serait pas acceptable révoquer cette responsabilité individuelle et de recommencer à penser et à décider à la place des citoyens pour construire la société de l’après-crise. Le temps vient de discuter et de confronter nos points de vue, sur la base de cette expérience douloureuse et singulière qui a décillé bien des regards. Le nouveau modèle que nous voulons ne peut naître que du débat démocratique qui seul permettra de transformer le fond de l’air solidaire qui s’est levé en détermination politique au changement.