ENQUÊTE – Ces millions de citoyens sans complémentaire santé – 1/2

Enquête sur ces Français qui n'ont pas de complémentaire santé.© 123RF
Enquête sur ces Français qui n'ont pas de complémentaire santé.© 123RF

Ils sont étudiants, salariés pauvres, mamans solo, retraités isolés, sans-papiers, sans-abri, et ils ont comme point commun de ne pas avoir de complémentaire santé. Pour ces quelques 3 millions de nos concitoyens, cela signifie de ne pas bien se soigner, voire mettre parfois sa vie en danger.

Près de 40 % de celles et ceux qui pourraient bénéficier de la Complémentaire santé solidaire (CSS) n’y ont pas recours. Alors que résonne régulièrement une petite musique rance qui n’oublie jamais de tancer les fraudeurs aux cotisations sociales, ce scandale-là ne fait aucun bruit. Voici la première partie de notre enquête sur ces Français qui n’ont pas de complémentaire santé.

L’absence de complémentaire santé, un symptôme d’exclusion

« Beaucoup de nos bénéficiaires sont totalement exclus de la santé, se désole Annie-Claire Cottu, bénévole du Secours Populaire. Certains ne sont même pas inscrits à la Sécu. Alors prendre une complémentaire santé, ils n’y pensent même pas ». Sage-femme de profession, elle est la coordinatrice des « Médecins du Secours Populaire ». Ce groupe de bénévoles compte des professionnels de la médecine, du paramédical, de l’action sociale, etc. « Au Secours Populaire nous ne soignons pas les gens, précise Annie-Claire Cottu. Mais nous les aidons à accéder à leurs droits. L’absence de complémentaire santé est l’un des symptômes forts de leur exclusion sociale. »

4 % à 10 % de citoyens non couverts

Selon l’Enquête santé européenne de 2019 (menée auprès de 15 000 personnes pour moitié par téléphone), 3,6 % de la population française de plus de 15 ans n’est pas couvert par une complémentaire santé. Cela représente quelques 2,5 millions de personnes. Une estimation à nuancer selon Héléna Revil, chercheuse et responsable scientifique de l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) de l’Université Grenoble-Alpes. « De notre côté, nous travaillons sur des échantillons plus réduits. À l’échelle d’un arrondissement d’une grande ville, par exemple, mais de manière plus précise, explique-t-elle. Or nous constatons souvent des taux qui approchent des 10 %. Nous préférons donc parler d’une fourchette de 4 % à 10 % de citoyens non couverts par une complémentaire santé. Ce marqueur de la précarité ne concerne donc pas que les gens en très grande exclusion, loin de là. »

Une tendance à la baisse

Ce qui est admis par tous, c’est que ce taux baisse. À titre de comparaison, selon la même enquête européenne, en 1996, 14 % des Français n’avaient pas de complémentaire santé. Et il faut évidemment saluer les différentes mesures prises depuis 25 ans. On peut citer l’obligation qu’ont, depuis 2016, les employeurs du secteur privé à proposer une mutuelle d’entreprise. Et la création de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) en 1999 et l’Aide à la complémentaire santé (ACS), lancée en 2005. Ces deux dispositifs ont fusionné en novembre 2019. Puis ils ont été remplacés par l’actuelle Complémentaire Santé Solidaire (CSS), quasiment exclusivement financée par les complémentaires santé. Cette dernière permet aux plus modestes de bénéficier de la prise en charge d’une partie ou de l’intégralité des frais, sans avoir à les avancer. Par ailleurs, elle propose un large panier de soins comprenant les consultations chez les professionnels de santé, les médicaments, les hospitalisations…

Une avancée considérable : la Complémentaire santé solidaire

« La CSS fut une avancée considérable, estime Huguette Boissonnat, du département Santé d’ATD Quart Monde et membre du comité de suivi de cette CSS. C’est une complémentaire comme les autres dont le panier de soins est de très grande qualité ». Notons aussi que, depuis un an, cette complémentaire est attribuée automatiquement aux nouveaux bénéficiaires du RSA. Ce qui a contribué à augmenter les effectifs. La CSS peut être gérée soit directement par la Caisse d’assurance maladie – c’est le cas le plus fréquent -, soit par l’une des 98 mutuelles actuellement conventionnées. « Ces dernières accompagnent environ un million de personnes, ajoute Huguette Boissonnat. Et j’ai vu à quel point elles font preuve d’un investissement et d’un humanisme remarquables. »

Entrer dans le droit commun

Pour la bénévole d’ATD Quart Monde, la CSS fait entrer les gens dans le droit commun. « Ses bénéficiaires ne sont pas que des personnes en grande précarité. Il y a parmi eux des salariés, des personnes âgées, des personnes handicapées… C’est donc un dispositif moins discriminant que la CMU et mieux intégré à un parcours de soins classique. »

Par ailleurs, la CMU-C avait une image particulièrement mauvaise chez les professionnels de santé, comme chez ses bénéficiaires. Mais la CSS n’a pas totalement effacé l’ardoise… « Malheureusement, des médecins libéraux refusent encore de prendre en charge les patients couverts par la CSS et pour lesquels ils ne peuvent pas pratiquer de dépassements d’honoraires ou demander des avances de frais », constate Annie-Claire Cottu.

Un système convalescent

De quoi alimenter le cercle vicieux du renoncement au soin. Selon les chiffres du ministère de la Solidarité, en 2019, 23,7 % des Français couverts par une complémentaire santé avaient renoncé à certains soins. Et ce taux s’élevait à 54,6 % chez ceux qui n’avaient pas mutuelle. « Être privé de cette couverture est la variable qui conduit le plus souvent à ce renoncement, confirme la chercheuse de l’Odenore. Or, ne plus avoir recours à des soins dentaires, par exemple, c’est évidemment devoir vivre avec des douleurs. Mais cela impacte aussi l’alimentation, le sommeil, augmente l’anxiété… Et lorsque l’on est contraint de renoncer à se soigner, le ressentiment envers les pouvoirs publics et les institutions augmente considérablement. »

Olivier Van Caemerbeke

RETROUVEZ LA SECONDE PARTIE DE NOTRE ENQUÊTE EN CLIQUANT SUR CE LIEN