Éric Chenut, président de la Mutualité française : « Le totem de grande sécu est illusoire »

Eric Chenut Président de la Mutualité Française ©FNMF/H. Thouroude
Eric Chenut Président de la Mutualité Française ©FNMF/H. Thouroude

« La confiance qui vient de m’être accordée par l’assemblée générale de la Mutualité française m’oblige autant qu’elle me touche. » C’est ainsi qu’Eric Chenut débutait son discours d’intronisation comme président de la Mutualité française, le 5 octobre. Le lendemain, il rencontrait les journalistes…

Comment envisagez-vous votre poste à la tête de la Mutualité française ?

« Nous sommes à un moment important. La Mutualité se trouve à la croisée des chemins. Il s’agit pour nous d’inscrire la protection sociale au cœur du débat de cette année électorale. Et ce, à la fois comme mouvement social, pour nourrir le débat, mais aussi comme syndicat professionnel : vers quels ajustements allons-nous pour assurer le développement de nos mutuelles…

Aujourd’hui, nous devons avancer dans une posture d’acteur global de santé, depuis les couvertures santé qui permettent de solvabiliser l’accès aux soins aux établissements de santé. Il nous faut continuer à innover, à impulser des dynamiques. C’est ce que nous avons toujours fait, que ce soit avec le tiers payant, ou les téléconsultations, par exemple. Nous voulons favoriser l’accès aux innovations par tous et pour tous. Voilà ce que l’ensemble du mouvement doit porter. Tout cela doit nous amener à nous interroger sur la raison d’être de la Mutualité. L’enjeu est d’aller vers un système orienté plus sur le préventif que sur le curatif, c’est là, la place de la Mutualité. »

De quelle manière allez-vous investir les débats de la campagne présidentielle ?

« Nous allons réactiver le dispositif « Place de la santé » pour éclairer les débats. Il s’agit d’un site proposant une analyse des programmes électoraux des candidats ainsi que des chiffres clés sur la protection sociale, des points de vue de think tank, mais aussi une partie info / désintox pour décrypter les vraies mais aussi les fausses informations. Puis, nous préparerons un « grand oral » des prétendants à l’élection présidentielle, le 1er mars, au Palais Brogniart.

Par ailleurs, nous organisons des conventions citoyennes, avec 70 personnes qui ont été tirées au sort et qui vont s’interroger sur l’entraide et son sens aujourd’hui.

L’année 2022 se poursuivra par notre congrès. Avec une place importante accordée aux jeunes, à l’avancée en âge et à l’inter-génération. Ce sera le 120ème anniversaire de la Fédération. »

Comment accueillez-vous les travaux de l’Hcaam et son projet de grande sécu ?

« Le Haut Commissariat à l’Avenir de l’Assurance Maladie se limite au périmètre actuel du système de protection sociale… Aujourd’hui, notre système permet un reste à charge bas, mais des inégalités importantes continuent à exister. Objectivement, il y a beaucoup de choses à revoir : ni la prévoyance, ni la dépendance ne sont prises en compte.

Second sujet, ce rapport de l’Hcaam ne raisonne pas de façon dynamique sur les besoins qui vont être les nôtres d’ici à 10 ans, avec l’augmentation de la durée de vie. Il ne parle pas non plus de la transition écologique qui va forcément impacter nos domaines. Pour moi, il faut regarder ce dossier au bon niveau… 

 » Il est temps de nous poser la question de notre plus-value. « 

Éric Chenut, président de la Mutualité française

Le totem de grande sécu est illusoire. Cela n’existe dans aucun pays. Il n’est pas souhaitable de laisser le citoyen seul face à l’État et l’État seul face à notre protection sociale, notre système n’en sortira pas grandi. Pour nous, aucun des scénarios proposés dans ce rapport ne prend en compte les évolutions en besoin de santé de nos citoyens. D’autant qu’on oublie le problème des dépassements d’honoraires. On regarde comment on va solvabiliser les dépenses sans regarder les déterminants de ces dépenses. Nous, notre souhait est une sécurité sociale forte. »

Le mouvement mutualiste subit depuis plusieurs années une défiance importante…

« Le mouvement a profondément changé depuis 20 ans. Nous sommes passés de 6000 mutuelles à 550. Il me semble utile de nous réinterroger sur notre manière de caractériser notre raison d’être. Il est temps de nous poser la question de notre plus-value. 

La défiance est telle aujourd’hui qu’il ne suffit plus de dire ce que nous sommes, il faut le montrer. Il va nous falloir mesurer notre impact et le faire de manière objective au travers de nos services, au travers de nos prestations, mais aussi au niveau des actions de nos élus bénévoles.

Cela permettra, territoire par territoire, de montrer notre empreinte mutualiste et nous pourrons alors prouver en quoi ce mouvement contribue à la cohésion sociale. »

Un militant engagé

Àgé de 48 ans, Éric Chenut est attaché d’administration de l’Etat depuis 2002. Juriste de formation, il est engagé dans le mouvement mutualiste depuis ses 20 ans. Étudiant à Nancy, Éric Chenut fonde en 2000 La Mutuelle des étudiants (LMDE).
Son parcours militant se poursuit lorsqu’il rejoint le groupe MGEN en 2003 comme administrateur. Il y est actuellement administrateur délégué. En parallèle, il préside l’ADOSEN, association de prévention MGEN, en charge de la sensibilisation aux sujets de santé, citoyenneté et solidarité dans le secteur éducatif.Éric Chenut est aussi administrateur du groupe VYV et vice-Président délégué de VYV 3 depuis 2017
Son engagement s’est toujours inscrit dans la perspective de l’émancipation individuelle et collective, notamment au sein de la Ligue des Droits de l’Homme, mais aussi par l’exigence qu’implique au quotidien son handicap, une cécité totale depuis l’âge de 23 ans.