«Face aux discriminations, il ne suffit pas de se proclamer progressistes, il faut s’organiser pour faire» affirme Nicolas Souveton

Nicolas Souveton

Suite au Congrès de Brest qui a réuni en octobre dernier ses militants, les Mutuelles de France lancent les conférences numériques thématiques. Ces moments d’échanges, de débats et de réflexion permettront de construire la feuille de route 2021-2023 de la Fédération. Quatre thèmes ont été retenus : « Agir en mouvement social », « Agir contre les discriminations », « Construire le militantisme mutualiste de demain » et « Réinventer les lieux mutualistes : l’exemple des tiers lieux ». Nicolas Souveton, vice-président de la fédération, présente l’atelier consacré aux discriminations, combat historique des Mutuelles de France.

Viva : Les Mutuelles de France organisent un atelier de réflexion sur les discriminations. Pourquoi ce choix ?

Nicolas Souveton : La lutte contre les inégalités est un combat historique de la mutualité qui œuvre depuis longtemps pour que chacun ait accès à la santé quelle que soit son origine, son milieu social, sa profession. Mais ce combat historique au sein de notre mouvement n’empêche pas des manquements et des erreurs. Car si, dans certains milieux, une discrimination peut être intentionnelle, elle est aussi assez souvent inconsciente, involontaire voire, même, parfois, on peut être discriminant alors que l’on poursuit le but inverse. Bref, c’est un travail humain et comme tout travail humain c’est subtil et complexe. Voilà pourquoi nous voulons, dans le prolongement de notre Congrès de Brest, remettre l’ouvrage sur le métier. Mais ce n’est pas la seule raison.

«quand un homme se sent oppressé, on l’oriente vers un électrocardiogramme. Quand une femme se sent oppressée, on lui prescrit des anxiolytiques».

Viva : Alors, pour quelle autre raison la FMF veut t-elle s’engager sur cette question ?

N.S. : Nous vivons dans une société qui peine parfois à prendre conscience des discriminations en son sein. Je vais prendre un exemple qui a fait polémique il y a quelques mois autour d’un tweet de l’association Globules Noirs qui diffusait des coordonnées de médecins réputés bienveillants à l’égard des patients noirs. S’en est suivi un procès d’intention ahurissant allant jusqu’à assimiler la démarche pragmatique de Globules Noirs à l’apartheid ! Ce qui m’a frappé dans tout ça, c’est que peu ont souligné le problème de base : qu’il faille diffuser des listes de médecins bienveillants parce que tous les soignants ne sont pas, dans leur pratique professionnelle, bienveillants. Or, le problème est là. Pas plus tard que la semaine dernière, un patient a rapporté qu’il avait dû changer de médecin traitant deux fois de suite parce que le premier refusait de toucher un patient séropositif et que la seconde lui proposait de « soigner » (sic) son homosexualité. Ces exemples doivent nous alerter, tout comme le traitement réservé aux femmes. Nous savons que les affections cardiovasculaires sont sous-diagnostiquée chez les femmes alors que ces dernières représentent la majorité des victimes. Pour faire court, quand un homme se sent oppressé, on l’oriente vers un électrocardiogramme. Quand une femme se sent oppressée, on lui prescrit des anxiolytiques. Travailler à lutter contre les discriminations en santé, ce n’est pas seulement évoquer la chaleur de l’accueil réservée au patient. C’est aussi s’attacher à la qualité du diagnostic. Excusez du peu.

Mais nous devons aussi nous interroger en tant que mouvement social sur les poids des préjugés et la place des discriminations au sein même de notre militantisme. Nous ne pouvons avoir la prétention d’agir dans la société, ou dans nos mutuelles et unions, si nous n’interrogeons pas les mécanismes de discrimination et de dominations dans nos structures militantes.

Nous devons poser comme règle que ces clichés doivent être mis à distance dans nos pratiques professionnelles et militantes et, à terme les déconstruire.

« Ce qui nous anime, c’est une volonté politique de transformer la société ».

Viva : Une fédération de mutuelle comme la FMF a-t-elle vocation à s’engager dans ce domaine ? Et de quelles discriminations souhaitez-vous parler ?

N.S. : Bien sûr, dans ce domaine et dans bien d’autres ! Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que nous abordons les discriminations. C’était déjà à l’ordre du jour dans des congrès précédents. Là nous souhaitons approfondir le travail et sortir de notre – si j’ose dire – zone de confort. Nous savons aborder les discriminations liées à l’origine ou au statut social mais nous devons à présent aborder d’autres discriminations. La loi recense pas moins de 25 critères ! Cette liste n’a pas été établie dans le bureau d’un haut fonctionnaire, c’est le résultat de l’expérience de vie de nos concitoyens relayée par des associations. Nous devons donc ouvrir un large chantier. Pour mener ce travail avec succès, nous devons sorti d’une forme de culpabilisation individuelle sur les discriminations. Les discriminations viennent des clichés véhiculés par la société. Ce sont ces clichés qu’il faut déconstruire. En préparant le congrès de Brest – avant le confinement – nous avions amorcé une réflexion sur les discriminations. Et nous étions déjà arrivés à la conclusion que l’enjeu n’était pas seulement s’intéresser à des comportements individuels mais de peser pour faire évoluer un système. Ce qui nous anime, c’est bien une volonté politique de transformer la société. Si l’on veut s’ouvrir, il nous faut accepter d’être bousculés ! Chacun d’entre nous, en fonction de sa vie, de son histoire, véhicule des clichés. Ce que nous devons faire, c’est en prendre conscience. Il ne suffit de proclamer qu’on est progressistes et qu’on accueille tout le monde. Il faut s’organiser pour le mettre en œuvre. C’est l’objectif de cette deuxième conférence numérique thématique : dessiner des moyens d’interventions sur ces sujets. D’où la nécessité de nouveaux outils.