«Il y a un déficit criant de santé publique en France» selon Caroline Izambert

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La pandémie de Covid 19 a mis en lumière les grandes fragilités de notre système de santé. Dans l’ouvrage « pandémo-politique » (Editions la Découverte), trois experts du système de soins, dont Caroline Izambert (docteure Ehess, collaboratrice de l’association Aides) co auteure du livre, plaident pour redéfinir les priorités en santé publique sur une base réellement démocratique.

Caroline izambert

Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre en pleine crise du Covid-19 ?

L’idée du livre est venue après que les membres du gouvernement aient affirmé que les malades n’avaient pas été triés lors de la première vague. Or, en sciences sociales on sait pertinemment que le tri en santé est omniprésent. Car même si nous ne sommes pas dans les conditions d’un champ de bataille, les ressources du système de soins ne sont pas illimitées. Le projet de l’ouvrage est donc né de cette dissonance cognitive entre réalités des pratiques médicales et paroles politiques. Nous souhaitions redonner un peu d’intelligibilité à cette période de crise. Nos trois approches sont complémentaires : Jean-Paul Gaudillière (Inserm) en tant qu’historien et spécialiste des relations entre  sciences et société, Pierre-André Juven (CNRS), sociologue, est expert des réformes du système de soins et de l’hôpital, quant à moi, j’ai par mon expérience au côté de Aides, une bonne connaissance des questions de démocratie sanitaire, de participation des usagers et des patients au système de soins.

«Les inégalités sociales de santé en France sont très importantes».

Vous déplorez le manque de réelle politique de santé publique.

Il y a, en effet, un défaut criant de santé publique en France qui ne date pas d’aujourd’hui, un dysfonctionnement de notre système de soins, un hospitalocentrisme et une absence de démocratie que les professionnels connaissaient mais que le grand public a découvert de manière dramatique, dans la douleur en étant touché au coeur soit à titre individuel, soit collectif.

Votre livre fait une large part à la question des inégalités dans cette crise

Oui et au refus des Pouvoirs Publics de prendre en compte cette question dans la gestion de la crise. Ces inégalités de santé ont pourtant été évidentes durant les deux vagues… Elles ne sont pas nouvelles. Les inégalités sociales de santé en France sont très importantes. Il suffit de considérer les inégalités d’espérance de vie selon les catégories socioprofessionnelles. 

C’est ce qui vous fait dire que nous avons affaire à une syndémie et non une pandémie.

Oui car il ne s’agit pas d’une simple épidémie mais de la rencontre d’un risque infectieux avec des groupes de personnes à risques : personnes âgées, malades chroniques, travailleurs précaires, communautés noires et asiatiques. Les malades chroniques sont surreprésentés dans les formes graves. Or ce sont des pathologies très inégalement réparties dans la population. Le fait d’être pauvre surexpose au diabète, à l’obésité, à l’asthme.  C’est pourquoi le département de Seine Saint Denis, avec un taux de pauvreté important et une population de travailleurs qui a été exposée aux risques en première ligne, a été particulièrement touché par la maladie. Il s’agit d’une population qui a aussi payé les conséquences sociales de la crise. Alors que nous aurions dû être spécifiquement attentifs à ce département, c’est à ce jour celui où les habitants ont été le moins vaccinés.

Vous préconisez des approches de prévention ciblées en matière de santé publique.

A nos yeux, il aurait fallu effectivement une politique de prévention ciblée dans cette crise à l’image de celle mise en place avec succès par les associations avec le Vih mais il y a en France une réticence assez forte à cette démarche. Des réseaux de santé communautaires existaient. Ils auraient pu être activés dans les périodes de confinements et de déconfinements. Un seul exemple : certes des messages de prévention sur les gestes barrières étaient diffusés à la radio ou à la télé, mais comment faire lorsque l’on ne comprend pas la langue ou lorsque l’on vit à cinq dans 45 mètres carrés ? Les expériences de ceux qui travaillent en santé communautaire nous apprennent qu’en matière de prévention, les approches très ciblées bénéficient à terme à tout le monde.