Joe Biden veut une assurance maladie publique accessible à tous

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Quel est le projet du nouveau président des Etats-Unis, Joe Biden, pour l’assurance maladie ? En pleine crise sanitaire et économique, le sujet est un enjeu majeur sachant que les salariés perdent leur couverture maladie quand ils perdent leur emploi et que près de 30 millions d’Américains n’ont toujours pas d’assurance santé. Alors que les candidats de la gauche du parti démocrate comme Bernie Sanders et Elizabeth Warren ont défendu une « sécurité sociale à la française » pendant la primaire, Joe Biden propose un programme plus modéré : la création d’une assurance maladie publique accessible à tous mais non obligatoire. Pour l’économiste à l’IRES spécialiste des Etats-Unis, Catherine Sauviat, il faut comprendre que « Joe Biden a “gauchisé’’ son programme pour avoir le soutien de l’aile gauche du parti démocrate ». Elle explique ici les contours du futur Bidencare.

Catherine Sauviat

Le nouveau président des Etats-Unis, Joe Biden, veut mettre en œuvre un plan d’assurance maladie public accessible à tous. Quelles en sont les principales mesures ?

Tout d’abord, Joe Biden, qui fut vice-président de Barack Obama, va défendre l’héritage de l’Affordable Care Act (ACA ou Obamacare). Pour rappel, cette loi a permis à 20 millions d’Américains d’accéder à une couverture maladie. Essentiellement de deux façons : par l’extension de l’accès à Medicaid, en relevant les seuils d’éligibilité à ce programme public pour les pauvres (12,4 millions de nouveaux assurés) ; et par un système d’aide à l’acquisition d’une assurance santé pour les personnes ayant un revenu annuel compris entre 12 760 et 51 040 dollars. Mais il y a des trous dans la raquette de l’Obamacare et près de 30 millions d’Américains n’ont toujours d’assurance maladie (9 % de la population).

C’est pourquoi le projet de Joe Biden est de construire une réforme sur l’existant pour couvrir ces 9 % qui échappent aux dispositifs. Ce qui veut dire qu’il ne remet pas en cause le rôle central joué par les assurances santé privées en entreprise ou individuelles.

Pour parvenir à son objectif de couverture universelle, il propose deux mesures principales :

* une assurance maladie publique dite « option publique ». Celle-ci viendrait en concurrence avec les assurances privées, serait financée par un impôt fédéral et serait gérée par le gouvernement fédéral. Elle serait ouverte à tous sans être obligatoire et aurait l’avantage d’être moins chère que les assurances privées.

* un abaissement de l’âge d’accès à Medicare de 65 ans à 60 ans (programme public pour les personnes âgées). Ce qui devrait fortement augmenter le nombre de bénéficiaires et permettrait de résoudre le problème de tous ceux qui sont licenciés avant 65 ans et qui se retrouvent sans assurance maladie ou doivent payer très cher pour s’en procurer une.

« je suis persuadée que « Medicare for all » viendra en son temps.»

Les candidats de la gauche du parti démocrate, comme Bernie Sanders et Elizabeth Warren, voulaient aller plus loin et ont défendu, pendant la campagne des primaires, un système de sécurité sociale publique pour tous, « Medicare for all ».  Quelle était la différence avec le projet de Joe Biden ?

Il faut préciser que pour avoir le soutien de la gauche du parti démocrate, Joe Biden  a « gauchisé » son programme, en proposant l’« option publique » notamment. Il vient encore de faire un geste dans ce sens en nommant ministre de la Santé le procureur général de Californie, Xavier Becerra, un homme politique qui se situe à la gauche du parti démocrate et qui a mené des combats contre l’industrie pharmaceutique.

Cela dit, les projets de Bernie Sanders et d’Elizabeth Warren, « Medicare for all », étaient plus ambitieux que celui de Joe Biden : il était question de supprimer tous les programmes existants, aussi bien les assurances privées que Medicaid et Medicare. En remplacement, l’idée était de mettre en place une caisse unique publique, gérée au niveau fédéral et remboursant à 100 % tous les soins (avec une franchise de 200 dollars par an pour les médicaments). Elle abolissait le coût exorbitant pour l’Etat fédéral des exonérations fiscales en faveur des contrats d’assurance santé d’entreprise (287 milliards de dollars).

Même si ce n’est pas à l’ordre du jour, je suis persuadée que « Medicare for all » viendra en son temps. Il faut savoir que cette idée revient régulièrement dans le débat. En 1948 déjà, le président démocrate Harry Truman avait tenté de faire adopter une assurance maladie nationale. Et la création de programmes comme Medicare et Medicaid paraissait impensable jusqu’à leur instauration en 1965 sous la présidence démocrate de Lyndon Johnson.

On sait que Donald Trump a tout fait pour démanteler l’Obamacare. Où en est-on à ce sujet ?

Donald Trump s’est employé à combattre l’Obamacare par tous les moyens pendant son mandat sans parvenir toutefois à le remettre en cause. Il a réussi à réduire à zéro la pénalité de l’Obamacare (à l’origine, l’Obamacare obligeait à avoir une assurance santé sous peine d’amende, ce qui était incitatif) ; il a réduit  de 90 % les budgets de communication ; et il a permis le développement de couvertures alternatives en direction des jeunes (peu chères, de faible qualité).

Enfin, plusieurs Etats républicains ont attaqué l’Obamacare en justice et sont en attente d’un jugement de la Cour suprême. La haute juridiction devrait se prononcer dans les mois qui viennent et l’inquiétude demeure, sachant qu’elle est désormais à majorité conservatrice, depuis la récente nomination de la juge Amy Coney Barrett.