Le cri d’alarme des métiers de l’humain

Femme aidant une personne âgée à s'habiller © 123 RF
Femme aidant une personne âgée à s'habiller © 123 RF

Pour faire entendre la détresse des milliers de professionnels du secteur médico-social et sanitaire, huit fédérations représentant les métiers de l’humain ont décidé d’unir leur voix. Mercredi 28 septembre 2022, une conférence de presse était organisée à Paris pour alerter l’opinion publique sur la gravité de la crise traversée par les établissements privés à but non lucratif (associatifs et mutualistes). Et appeler les pouvoirs publics à « prendre leurs responsabilités ».

« Parler de  » manque d’attractivité  » pour les professions médico-sociales et sanitaires n’est plus exact. Aujourd’hui, nous sommes face à une véritable pénurie des métiers de l’humain ». Nouveau président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss), Daniel Goldberg rappelle alors le chiffre de 50 000 postes à pourvoir aujourd’hui dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

Mercredi 28 septembre 2022, huit fédérations représentant les métiers de l’humain, dont l’Uniopss mais aussi la Mutualité Française, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap) et Unicancer, organisaient une journée de mobilisation commune pour faire entendre la détresse des milliers de professionnels du soin et de l’accompagnement.

Bientôt 150 000 postes vacants ?

« Si l’on n’y prend pas garde, et que la tendance se poursuit, ce sont plus de 150 000 postes qui viendront à manquer en 2025. Ce qui équivaut à près d’un quart des emplois secteur », renchérit Éric Chenut, venu représenter la FNMF lors de la conférence de presse organisée par les huit fédérations.

En cette matinée du 28 septembre, la presse était en effet conviée dans l’un des établissements parisiens de l’Armée du Salut. « Dans ce lieu, comme dans les établissements mutualistes et associatifs que nous représentons, il n’est plus possible d’accueillir les personnes vulnérables comme nous le souhaiterions », ajoute Daniel Goldberg.

Une crise généralisée à tous les secteurs

Les fédérations insistent sur la généralisation de la crise à l’ensemble du secteur. Tous les établissements associatifs et mutualistes du privé non lucratif sont en effet touchés. A l’instar des centres de santé, établissements sanitaires, psychiatriques, crèches, services d’hospitalisation à domicile, de protection de l’enfance, aide aux seniors, aux personnes en situation de handicap, aux plus précaires…

« Il s’agit de professions complexes, avec une charge de travail extrêmement importante et des horaires difficles », souligne Eric Chenut. Les représentants des fédérations rappellent que ces professionnels « vivent une crise profonde depuis plusieurs années déjà. Le niveau de leurs rémunérations ne correspond en rien à l’utilité sociale de leurs métiers ». Et depuis le Covid, la situation s’est grandement aggravée.

De crises en crises

« La mobilisation des professionnels a permis de faire face pendant la crise sanitaire. Puis de nouveau pendant la crise hospitalière que l’on connaît depuis le printemps, avant celle des urgencesMais nous ne pouvons pas fonctionner de crises en crises. Ces adaptations ô combien importantes ne sont pas réplicables à l’infini », condamne le président de la Mutualité Française. A ses côtés, la présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap), Marie-Sophie Desaulle acquiesce. « Après l’été, les pouvoirs publics nous ont dit qu’on avait « tenu »… Mais à quel prix ! Combien d’heures supplémentaires, et dans quelles conditions de travail », s’indigne-t-elle.

Les structures ne peuvent plus accueillir les personnes vulnérables

« La dégradation de l’attractivité des métiers de l’humain est également le fait d’un défaut de reconnaissance. Et d’une perte de sens qui détournent ces professionnels de leur vocation d’origine », précisent les huit fédérations dans un communiqué de presse commun. Et cette pénurie est lourde de conséquences pour l’ensemble de la société. Des milliers de personnes vulnérables ne peuvent plus être accueillies. Et des milliers d’aidants et de familles restent, de ce fait, en grande difficulté. « Ce qui nous rassemble aussi, c’est de défendre les droits fondamentaux des personnes », martèle Daniel Goldberg.

« A titre d’exemple, poursuit le président de l’Uniopss, une crèche sur deux nous signale un manque cruel de personnels. Et d’après l’une de nos récentes études, 10 % des postes dans la protection de l’enfance sont actuellement vacants. Ce qui signifie très concrètement que des mineurs subissant des violences intra-familiales ne peuvent pas quitter leur domicile pour aller dans une structure adaptée. »

Conférence de presse des fédérations du secteur sanitaire et social privé non lucatif, le mercredi 28 septembre 2022 à Paris. De gauche à droite : Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap), Eric Chenut président de la Fédération nationale de la Mutualité Française (FNMF), et Daniel Godlberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss). © DR

Des soins dégradés

Les échanges de la matinée mettent en lumière l’impossibilité pour les professionnels du soin et de l’accompagnement d’honorer leur mission première : celle de « prendre soin ». L’incapacité d’accueillir les plus vulnérables se double d’une forte dégradation des conditions de travail. Marie-Sophie Desaulle évoque notamment les changements d’organisations mis en place pour pallier le manque de personnels. « Les hospitalisations se font désormais en ambulatoire plutôt que sur plusieurs jours… Les soins infirmiers à domicile sont ajournés, ou interviennent plus tardivement dans la journée. Ce qui peut être extrêmement dommageable pour les personnes qui en ont besoin… ». Les intervenants déplorent également le fait que les personnels n’ont plus le temps d’échanger avec ceux qu’ils soignent ou qu’ils accompagnent.

Un enjeu éminemment politique

« Cet investissement social et humain inhérent à ces métiers participe de notre cohésion sociale. C’est un enjeu éminemment politique. Et s’il n’y a pas une intention particulière de la part des pouvoirs publics en faveur de ces professionnels, nous allons avoir des difficultés de plus en plus importantes », avertit Eric Chenut.

« Sur le papier il y a de belles politiques de soin et d’accompagnement, qui reposent sur des schémas parfaits. Ce qui est loin d’être le cas dans la réalité. Et tous ceux qui y sont confrontés s’en rendent comptent », fustige Daniel Goldberg.

Une action complémentaire à celle du service public

Les huit fédérations réclament la revalorisation des salaires, la prise en compte de l’inflation et à plus long terme sur un plan d’envergure pour l’ensemble du secteur. « Nos structures mutualistes et associatives font partie de l’économie sociale et solidaire (ESS). C’est dans cette ambition là que nous avons développé notre activité, de manière complémentaire à celle du service public. Nous apportons des réponses dans les territoires pour permettre l’accompagnement des plus fragiles », rappelle le président de la Mutualité Française. Les représentants demandent de ce fait un traitement équitable entre le secteur public et le privé non lucratif, notamment en termes de salaires. Et l’extension des mesures du Ségur de la santé à tous les métiers d’accompagnement et du soin.

L’Etat et les départements se renvoient la responsabilité

Concernant les mesures du Ségur, l’ensemble des présidents déplorent des retards dans les paiements des rétributions promises aux professionnels du secteur sanitaire et médico-social. « Seuls huit départements sur cent les ont aujourd’hui données. Il y a un décalage entre les annonces faites et la réalité des versements. Une vraie opacité sur la structuration de la gouvernance : qui finance et qui verse les sommes ? L’Etat et les départements se renvoient tour à tour la balle dans un jeu de ping-pong insupportable, condamnent les trois présidents. Il en va de la confiance dans la parole publique.»