«Le danger est que cette épidémie soit considérée comme une parenthèse» s’inquiète le professeur André Grimaldi

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Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé un «Plan massif d’investissement pour l’hôpital», André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie, CHU Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université revient sur 20 ans de dérives de l’hôpital et s’inquiète pour l’avenir. Il dirige l’ouvrage : «Santé ; urgence» qui sera publié fin mai aux éditions Odile Jacob. Plus que jamais d’actualité.

Que vous inspire la situation actuelle?

Je suis atterré. On trie les malades, on les transfère dans la panique où on trouve de la place. Pendant ce temps-là on décale les autres patients, ceux atteints d’un cancer qui devront attendre leur chimiothérapie, ceux avec un diabète déséquilibré et les risques qui vont avec. Et puis les Avc et crises cardiaques ne s’arrêtent pas avec l’épidémie. C’est une véritable perte de chance pour de nombreux Français.

Depuis de nombreuses années, vous alertez sur l’état désastreux dans lequel se trouvent les hôpitaux. Et aujourd’hui, c’est le drame.  

Le coronavirus s’est abattu sur un système de santé déjà très affaibli. Nous avions connu une petite crise à l’automne avec une épidémie de bronchiolites. Dans les « grands » hôpitaux parisiens, il n’y avait plus assez de lits de réanimation pédiatrique. Nous avons été obligés d’envoyer plusieurs nourrissons à 200 kilomètres pour les prendre en charge.

Quand la crise touche la réanimation, c’est à dire le cœur même de l’hôpital c’est que l’on a franchi un point de non- retour. Avec Covid-19, l’hôpital est complètement dépassé.

On ne peut pas dire que l’on ne savait pas. Les personnels alertaient depuis des années. Ils étaient en grève depuis des mois.

Il y a pourtant eu plusieurs plans d’urgence à l’automne pour l’hôpital…

En effet et juste après que l’on ait fait voter un Projet de loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) entérinant 800 millions d’euros d’économie supplémentaires pour l’hôpital ; Un Plfss porté à l’Assemblée Nationale par le rapporteur de la Commission des Affaires sociales Olivier Véran, alors député.

Certes dans l’urgence quelques budgets ont été débloqués mais des montants totalement dérisoires au regard des besoins; du sparadrap sur une institution à l’agonie. L’histoire des masques est à ce niveau symptomatique. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas utiles comme on a voulu nous le faire croire, c’est qu’il n’y en n’a pas. Or l’urgence c’est le masque.

Vont-ils arriver ?

Espérons que lorsque la deuxième vague épidémique arrivera car elle arrivera, nous aurons des masques et de quoi dépister. En attendant et puisque nous n’avons que çà, appliquons les techniques moyenâgeuses du confinement. Et puis nous en tirerons le bilan.

Quand selon vous a commencé cette « casse » de l’hôpital public ?

Le virage c’est fait avec les orientations politiques prises au début des années 2000, le tournant managérial dans les hôpitaux. Il ne fallait plus parler de services publics mais d’entreprise.  Il fallait vendre du « séjour hospitalier » comme on vend des voitures. On a créé des « Directoires » avec des responsables venus du secteur privé. On s’est mis à parler de « parts de marchés », d’équivalents temps plein pour le personnel.

On a demandé à l’hôpital public de se calquer sur le modèle des cliniques privés, un modèle efficace peut-être lorsqu’il s’agit d’opérations techniques programmées et standardisées comme le canal carpien ou la cataracte qui peuvent être réalisé en chirurgie ambulatoire, mais totalement inadapté aux épidémies et aux maladies chroniques qui nécessitent du temps, des lits du personnel.

Il s’est agi d’être rentable, de travailler non plus en stocks mais en flux. Il fallait surtout qu’il n’y ait plus de lits vides dans les services. Résultat, il y a aujourd’hui 30 % de lits de moins qu’il y a 20 ans. Or lorsque les gens arrivent aux urgences, on en fait quoi s’il n’y a pas de lits ? On a donc redécouvert les brancards. Raisonner ainsi c’est comme décider de fermer toutes les casernes de pompiers quand il n’y a pas d’incendies.

Qu’est-ce que cette crise va changer demain ?

Le danger est que cette épidémie soit considérée comme une parenthèse. Nous aurons des masques  en stock mais nous continuerons comme avant sans plus d’argent pour la recherche ou  l’hôpital. Le risque est grand également que la crise sanitaire soit un prétexte pour restreindre nos libertés publiques et démocratiques.

J’espère que celle-ci fera prendre conscience que les épidémies, qu’elles soient infectieuses ou concernent celles que nous vivons avec 20 millions de malades chroniques ne sont pas compatibles avec le modèle marchand, la santé business. Macron a dit la santé ne peut pas être régulée par le marché. Nous en prenons note et nous nous en souviendrons car la santé et l’environnement seront au cœur des thèmes des prochaines élections présidentielles.

  1. Il est coauteur de La Vérité sur vos médicaments, des Maladies chroniquesVers la troisième médecine et du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire

A sortir fin mai 2020

Crise des Urgences, crise de la psychiatrie, crise de l’hôpital public, manque de médecins traitants… Notre santé va mal. Pourrons-nous tous être soignés demain ? Avec quelle qualité de soins ? Et à quel prix ? Pouvons-nous encore sauver notre système de santé ? Vingt-huit experts et professionnels de la santé, médecins, infirmiers, patients, sociologues, politistes, économistes, géographes posent un diagnostic global et demandent une révolution en profondeur de notre système : partager autrement le travail entre l’hôpital et la médecine de ville, et en finir avec l’hôpital-entreprise. Construire des communautés de soignants – médecins, infirmiers, paramédicaux –, faire des patients de véritables partenaires, remettre la prévention au centre, répartir les moyens sur l’ensemble du territoire… Il est temps de sauver notre santé. Une vision adaptée aux défis du XXIe siècle.

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