Les Mutuelles de France tirent les leçons de la crise sanitaire

Conférence numérique de travail 1 des Mutuelles de France

La première des quatre conférences numériques thématiques (CNT), dans le cadre de la préparation de la feuille de route 2021-2023, a rassemblé, dans la matinée du jeudi 28 janvier, plus d’une centaine de militants mutualistes. Après une introduction politique de Jean-Paul Benoit, président de la FMF, les échanges ont permis de partager l’analyse de la situation du pays après dix mois de crise sanitaire inédite. Trois heures de discussions qui ont aussi été l’occasion de poser des repères en vue de l’élaboration de la feuille de route de la Fédération, suite au congrès de Brest, pour la période 2021 – 2023. Enfin, Pascale Vatel, secrétaire générale et Romain Boix, administrateur de la FMF, ont présenté le chantier de la plateforme de propositions, l’outil militant qui, finalisé pour la fin du printemps, doit constituer un socle de revendications et d’actions en vue des prochains rendez-vous électoraux de 2021 et 2022.

Les 10 points clés

  • Jeunes – Le confinement et le couvre-feu, l’anéantissement de la vie sociale et d’une partie de l’activité économique pénalisent fortement les jeunes. D’abord parce que la jeunesse est un moment singulier de la vie, celui des découvertes, des rencontres, de l’éveil social, celui de l’apprentissage et de la préparation de son avenir. Ensuite, parce qu’elle est un moment où on est particulièrement vulnérable économiquement. Sans emploi ni aide, les jeunes se retrouvent souvent sans ressource. En refusant l’ouverture de l’accès au RSA à partir de 18 ans, alors que de nombreux jeunes se retrouvent dans les files d’attente des banques alimentaires et des soupes populaires, le gouvernement fait preuve d’indécence. Au-delà de la question du RSA, le gouvernement refuse de prendre à bras-le-corps la question de l’autonomie des jeunes et prend également un risque déflagrateur. Concrètement, les jeunes de 18 à 25 ans ne bénéficient pas autant que l’ensemble de la population du système solidaire dont ils ont un besoin crucial. Ils risquent de se détourner et de refuser leur consentement à un système solidaire qui leur aura cruellement manqué. En entamant toujours plus la crédibilité du système solidaire, en créant une telle fracture dans la société, le libéralisme montre le niveau de son cynisme. C’est vrai pour les jeunes et pour d’autres populations, oubliées durant cette crise.
  • Vaccination – La mise au point d’un vaccin en seulement un an est presque inespéré. Ce vaccin, qui met en œuvre la technologie de l’ARN messager, pourrait permettre, à terme, des progrès contre d’autres maladies, à commencer par la grippe saisonnière. C’est une source d’espoir. Mais le gouvernement a instrumentalisé les « antivax » pour habiller ses cafouillages logistiques. La question de l’adhésion aux vaccins n’est pas prégnante, surtout au regard des doses disponibles qui constituent la première limite actuelle à la campagne de vaccination. Comme pour le reste de la gestion de la crise sanitaire, nous avons eu droit à une communication chaotique qui encourageait chacun à se faire vacciner tout en sachant que ce n’était pas possible concrètement. Tout cela ne doit pas empêcher de porter un regard lucide sur la réalité économique et les enjeux politiques de cette opération. Elle repose avec insistance la question de l’accès de tous aux médicaments et aux produits de santé. En France mais aussi pour l’ensemble de la population mondiale pour une partie de laquelle le vaccin reste aujourd’hui un vœu pieu. Les groupements mutualistes ont un rôle à jouer pour accompagner les adhérents et, notamment, contribuer à leur prise de conscience des enjeux politiques posés.
  • Accélérateur – La pandémie est, nous l’avons dit, un révélateur des défaillances de notre système de protection sociale, entamé par des décennies de réformes libérales. Mais c’est aussi un accélérateur puisque la pauvreté et les inégalités ont explosé et qu’un tsunami social – humain – nous attend dans les mois qui viennent. La crise économique qui s’abat produit ses premiers effets profondément injustes en enrichissant les plus riches et appauvrissant les plus pauvres. Le « quoi qu’il en coûte » ne profite pas à tous. La crise est aussi instrumentalisée par le pouvoir qui entend accélérer ses réformes libérales au prétexte le paiement de la dette.
  • Libertés – La crise de la Covid-19 n’a, en rien, atténué la volonté du gouvernement de durcir le dialogue social et de contrôler par la force et la violence le mouvement social. Cette dérive se poursuit malgré des résistances fortes de la société. Pendant que le pays fait face à une crise sanitaire d’une gravité exceptionnelle, le gouvernement essaye de faire voter une loi dite « sécurité globale » qui organise légalement un face à face violent entre la police et les citoyens engagés dans le mouvement social. Parallèlement, le « projet de loi réaffirmant les principes républicains » entend instiller le poison identitaire dans le débat public. En contestant tout débat démocratique sur sa gestion de la crise au nom d’une « unité nationale » de façade, en légitimant les thèses identitaires de l’extrême-droite tout en laissant sans réponse les profondes injustices économiques qu’aggrave la crise sanitaire, la majorité n’est mue que par un dessein électoraliste : elle veut confisquer l’élection de 2022 à son profit et à celui de l’extrême-droite. Cette tactique politique sent mauvais et peut déboucher sur une catastrophe démocratique.
  • Verticalité – La pandémie de Covid-19 est une opportunité pour accroître une gestion verticale du pouvoir par le président de la République et son gouvernement au mépris des règles démocratiques et des libertés fondamentales. C’est un rapport autoritaire qui a été installé autour de chefs dictant des ordres à exécuter à des subordonnés, à l’opposé de la mobilisation de citoyens libres face à un danger sanitaire. Cette manière de faire a déjà des conséquences lourdes sur la nature des mesures prises hors de tout débat et, finalement sur leur acceptabilité limitée. Durablement, elle disqualifie le débat démocratique comme mode de gestion, distille l’idée que seul un pouvoir fort et vertical est en mesure de diriger le pays. Ce mode de fonctionnement est complètement inefficace et contraire à nos valeurs et au modèle mutualistes fondé sur l’implication des populations dans les décisions qui les concernent.
  • Isolement – La souffrance psychologique n’a été que tardivement, et insuffisamment prise en compte dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Alors que les mutuelles ont très tôt lancé des campagnes d’appels aux adhérents isolés, par exemple, cette question de l’isolement engendré par les mesures de précaution est longtemps restée invisible. C’est une bombe à retardement qui commence déjà à se faire sentir : on assiste à une explosion des soins psychiatriques et une forte progression des forfaits-jours-hospitalisation en la matière et nous recevons de nombreuses alertes sur la précarité humaine des étudiants qui se sentent très seuls, au-delà de la précarité financière, et ont un grand besoin de lien social.

  • Que choisir ? – En auxiliaire obligeant des assurances privées, l’association « Que Choisir ? » a produit sa traditionnelle « enquête » frelatée sur le coût des cotisations aux complémentaires santé. Une enquête qui n’en est pas une, fondée sur 600 bénéficiaires constituant une base statistique totalement farfelue et tronquée, censée représenter 60 millions de personnes protégées par les complémentaires santé. En mettant en cause les mutuelles, au même titre que les assurances, sur les augmentations de cotisation, pourtant corrélées à la croissance réelle des dépenses de santé, « Que Choisir » égare l’opinion publique. Toutefois, la réponse que le président de l’association s’est senti obligé de faire aux éléments fournis par la FNMF et à l’interview de Carole HAZE, présidente de Solimut,Mutuelle de France montre que nos arguments commencent à porter face à leur démarche consumériste et strictement individualiste. Notamment, dans le domaine de la santé, la quête du gain individuel et de court terme ne fait qu’augmenter les inégalités et les injustices sociales et fragmente la solidarité intergénérationnelle. Elle est mauvaise collectivement et, à terme, néfaste individuellement. La santé n’est décidément pas une marchandise. Nous devons rester offensifs politiquement pour combattre cette marchandisation et promouvoir le modèle mutualiste qui organise la solidarité.
  • Taxe Covid – Totalement occultée par la prétendue « étude » de « Que Choisir », la taxe Covid sur les mutualistes a été la réponse indigne du gouvernement à l’engagement des mutuelles et des militants mutualistes dès le début de la crise. Les groupements ont su s’organiser face à la pandémie, être résilients, capables d’adaptation et d’innovation, que ce soit en Livre 2 ou en Livre 3, pour répondre encore mieux aux besoins des adhérents. Ils ont aussi accru leur soutien aux partenaires associatifs engagés auprès des plus fragiles passant entre les gouttes du « quoi-qu’il- en-coûte » gouvernemental. Au total, c’est plus de 2 mois de cotisation des adhérents mutualistes qui sont désormais confisquées sous forme de taxes et ne peuvent être redistribuées en services et prestations.
  • Hôpital – La leçon n’a pas été retenue. Les économies, les fermetures de lits se poursuivent à l’hôpital. Ceci au moment même où on loue le rôle quasi héroïque de l’hôpital public dans la lutte contre la pandémie et l’utilité de la proximité. Le point indiciaire des personnels n’a pas été revalorisé. Ce qui a été octroyé à l’occasion du « Ségur de la santé » est en train d’être repris. Malgré l’évidence, l’hôpital public n’est toujours pas une priorité. Et encore moins les métiers du soin et de l’accompagnement, comme les aides à domicile, pourtant qualifiés d’essentiels, qui restent les oubliés de ces mauvais « Comptes de Ségur ».
  • Plateforme de propositions – C’est une décennie de réflexions, de débats et de propositions mutualistes, conjuguée aux discussions plus récentes autour de la crise sanitaire et de ce qu’elle révèle, qui vont s’organiser dans la plateforme de propositions actuellement en chantier aux Mutuelles de France. Cet outil sera actualisable dans l’avenir et doit constituer un appui à notre travail militant quotidien, tant au sein de la FNMF que vis-à-vis des adhérents mutualistes, des responsables politiques et de la population.

Denis Quinqueton, direction des Mutuelles de France