« L’État paye la crise sur la carte bancaire de la Sécurité sociale » dénonce Pascale Vatel

Pascale Vatel
Pascale Vatel

Pascale Vatel, secrétaire générale des Mutuelles de France déplore que le gouvernement continue l’oeuvre engagée d’affaiblissement méthodique de la sécurité sociale. L’institution qui fête ce mois ci ses 75 ans, connaît une des plus graves crises de son histoire.

Viva : La Sécurité sociale fête ses 75 ans. Le gouvernement vient d’organiser un colloque « La sécurité sociale au cœur de la République ». C’est une bonne nouvelle, non ?

Pascale Vatel : Il est surtout très hypocrite, en pleine crise sanitaire, sociale et économique de passer une journée à célébrer les 75 ans de la « Sécu » pour faire oublier toutes les autres consacrées à l’attaquer, à l’amoindrir, à remettre en cause sa portée et son universalité. Ce formidable outil de solidarité vient de faire une nouvelle fois la preuve de sa pertinence et de son efficacité. Hélas, les coups qui lui ont été portés depuis des décennies ne lui ont pas permis d’être totalement au rendez-vous de cette ambition. Au fil des années, les ressources de la Sécurité sociale ont été délibérement asséchées pour exonérer le grand patronat de la solidarité. Des dizaines de milliards d’économies ont été imposées à la Sécurité sociale et ont mené au résultat que nous connaissons. La crise que nous traversons aurait dû servir de leçon pour corriger le tir et arrêter la casse. C’est malheureusement l’inverse qui se prépare.

Malgré les belles paroles, le gouvernement Castex continue « l’œuvre » engagée d’affaiblissement aussi méthodique que silencieux de la Sécurité sociale. Il augmente la facture présentée aux ménages et aux malades. Il projette de punir ceux qui oseraient se rendre, sans être mourants, aux urgences avec un nouveau “forfait urgences”, qui va encore réduire l’accès inconditionnel aux soins.

Une seule ressource nouvelle est trouvée la poche des adhérents mutualistes avec une taxe supplémentaire d’un millliard et demi d’€. « En même temps »,  Amazon, Netflix ou Uber, qui ont fait des profits records grâce à la crise, restent quasiment exemptés d’impôts et de cotisations. 

Cette politique a également conduit à ce que l’hôpital public ne soit plus en mesure de remplir ses missions. Depuis longtemps, les professionnels alertent sur les difficultés auxquelles ils sont confrontés : un système de financement qui organise l’asphyxie financière, un manque criant de lits et de personnels, des rémunérations honteuses, une gouvernance technocratique. La réponse du gouvernement fut le « Ségur de la santé » ; une « grande messe » qui n’avait rien d’une négociation. Le résultat n’est pas à la hauteur. Les mesures salariales sont décevantes, les fermetures de lits et de services ne sont pas abandonnées, les recrutements sont en trompe l’œil et, en pleine crise sanitaire, 800 millions d’€ d’économies sont encore programmés à l’hôpital en 2021 reprenant d’une main ce qui a été arraché par la mobilisation.

Alors que nous sommes dans la deuxième vague – attendue – de l’épidémie, nous nous apercevons que rien n’a été préparé, rien n’a changé. 

«L’essentiel dU déficit a pour origine la chute des recettes. Le gouvernement ne cherche aucune nouvelle ressource qui fasse participer l’ensemble des richesses de notre pays et, alors que la pauvreté explose, il préfère faire payer les ménages».

Viva : Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 confirme un déficit abyssal de 44 milliards deuros en 2020 et de 25 milliards en 2021. Le gouvernement a fait le choix de faire peser la dette « Covid » sur la Sécurité sociale et non sur le budget de lÉtat. Une erreur ?

P.V : C’est un choix politique. Et il témoigne de beaucoup de cynisme. Revenons sur ce déficit. Il s’explique par des dépenses supplémentaires liées à la crise sanitaire dont une partie ne relevaient d’ailleurs pas du périmètre de la Sécurité sociale. C’est le cas par exemple des arrêts maladie pour garde d’enfants. Sans en contester la nécessité, sa prise en charge par l’Assurance maladie est discutable. Ce n’est pas elle qui l’a décidé mais le gouvernement. L’État paie donc sur la carte bancaire de la Sécurité sociale. L’essentiel de ce déficit a pour origine la chute des recettes. Le gouvernement ne cherche aucune nouvelle ressource qui fasse participer l’ensemble des richesses de notre pays et, alors que la pauvreté explose, il préfère faire payer les ménages.

Comme il mesure bien ce qu’il fait, il s’est arrangé pour le faire en catimini. Tout s’est joué en mai dernier, alors que le pays était encore sous le choc du confinement. Le gouvernement a opté pour le transfert de 136 milliards d’€ de dettes mêlant déficits de la Sécurité sociale et une partie de dette des hôpitaux à la Caisse d’Amortissement de la Dette sociale (CADES) et de prolonger sa durée de vie de 9 ans. L’État aurait pu conserver la dette et ne rembourser que les intérêts, avec ce transfert il se libère de cette dette mais impose à la CADES de rembourser intérêts et capital, soit 10 fois plus.

C’est un choix honteux et dangereux et une double peine ! La CADES est payée uniquement par les ménages avec la CSG et la CRDS. Ensuite, le gouvernement promet de nouvelles coupes budgétaires puisqu’il fixe l’objectif de rembourser cette dette et de rétablir l’équilibre de la Sécurité sociale en excluant toute hausse d’impôt ou de cotisations sociales. La Cour des Comptes ne s’en est pas cachée en présentant son rapport d’exécution de lois de financement de la Sécurité sociale. Elle appelle à « tailler dans les dépenses » pour résorber la dette pharamineuse que l’État a mis sur le dos de la Sécurité sociale. Ce principe est programmé dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité sociale 2021 préparant « des jours encore plus malheureux ».

Voyez comment on nous propose de sortir d’une crise sanitaire unique en son genre : en diminuant les dépenses de solidarité, celles-là mêmes sans lesquelles la crise économique déjà grave, qui voit le chômage et la précarité bondir, aurait mis le pays à terre et son économie avec. 

« Cette politique nous mène droit dans le mur. La protection sociale n’est pas un débat d’experts, c’est un enjeu politique et des choix. La population doit s’en saisir et prendre la parole. Nous devons retrouver le chemin de la démocratie sociale, politique et sanitaire ».

Viva : La tendance actuelle à vouloir fondre les budgets de lÉtat et de la Sécurité sociale vous inquiète ?

P.V : C’est plus qu’inquiétant, c’est mortifère. Je viens d’expliquer le jeu de transferts que s’est autorisé l’État. Coté recettes, il y a deux ans pour la première fois, l’État s’est exonéré de compenser les réductions de cotisations sociales, décidées sous prétexte « du coût du travail » et du pouvoir d’achat. C’est un manque à gagner de 4 milliards d’€ sur la seule année 2019 pour la Sécurité sociale. Un pillage ! Cela a deux conséquences. La première, est de réduire les moyens de la Sécurité sociale et donc, du pot commun. La seconde, c’est d’alléger le budget de l’État qui les utilise pour servir sa politique économique et diminuer les impôts des plus riches. Ce n’est pas pour rien que les fondateurs de la Sécurité sociale avaient doté la Sécurité sociale d’un budget autonome : il s’agissait d’éviter que l’État se serve dans la caisse de la Sécurité sociale, devenant une variable d’ajustement. C’est exactement ce qui se produit alors que l’on souffle ses 75 bougies.

Viva : Quelles perspectives alors ?

P.V : On met en œuvre la disparition, petit à petit, du bien commun, moteur de développement et qui nous permet de faire société. C’est vrai pour la Sécu, c’est également le cas pour les services publics. Tout ce qui conduit à réduire la prise en charge collective des risques sociaux est dévastateur pour celles et ceux qui sont privés de droits ou voient se réduire leurs droits quand arrivent les coups durs. Cela remet en cause le sentiment d’appartenance collective et développe l’individualisme.

Cette politique nous mène droit dans le mur. La protection sociale n’est pas un débat d’experts, c’est un enjeu politique et des choix. La population doit s’en saisir et prendre la parole. Nous devons retrouver le chemin de la démocratie sociale, politique et sanitaire.

C’est pourquoi, aux Mutuelles de France, nous sommes convaincus qu’il faut agir, travailler avec les forces progressistes pour éviter la catastrophe sociale. Nous consacrerons notre prochain congrès à Brest, fin octobre, à cela. Nous devons construire de nouvelles solidarités afin de préparer des « jours heureux »  et remettre chacun en sécurité sociale. Et qu’on ne dise pas que la 6epuissance mondiale, où les revenus des plus riches grimpent en flèche, n’en a pas les moyens !