« Nous assistons à la mort clinique de l’hôpital », estime l’urgentiste Christophe Prudhomme

Christophe Prudhomme @MagaliDelporte
Christophe Prudhomme @MagaliDelporte

Christophe Prudhomme est le porte-parole de l’association des médecins urgentistes français et syndicaliste Cgt.

Que vous inspire la démission des 1 200 médecins hospitaliers de leurs fonctions administratives?

Si on peut se féliciter de cette démarche qui réunit autour d’une même table 14 organisations, je crains que, en dehors d’une visibilité médiatique, cette action n’ait pas une efficacité suffisante. Démissionner de ses fonctions administratives, pourquoi pas, mais dans de nombreuses directions hospitalières, cela va faire doucement rigoler. Elles vont continuer à s’appuyer sur les autres médecins pour fonctionner. Pour instaurer un réel rapport de force, il faudrait boycotter massivement les commissions médicales et les réunions de directoire, organismes au sein desquels nous siégeons. Car si, aujourd’hui, les directeurs d’hôpitaux ont tout pouvoir, ils ont, dans ces deux instances, l’obligation de recueillir l’avis du corps médical. Passer outre peut relever du tribunal administratif.

Ces médecins démissionnaires sont-ils marginaux ?

Ils ne sont pas marginaux. Il y a aujourd’hui un nombre non négligeable de médecins humanistes et, bien au-delà du nombre de ceux qui ont démissionné, qui se battent pour le service public et dénoncent le sort que l’on réserve à l’hôpital.  Mais cela reste quand même une minorité, même si elle s’exprime fortement aujourd’hui. Malheureusement, une grande partie des médecins, par peur du conflit, de perdre leur poste, continuent à faire fonctionner le système. Il y a d’ailleurs entre ces deux groupes des tensions importantes en ce moment dans les hôpitaux. Le climat social est particulièrement difficile.

Peut-on rapprocher le combat pour l’hôpital de celui contre la réforme des retraites ?

La fonction publique hospitalière va être touchée de plein fouet par cette réforme des retraites. En particulier ceux qui sont dans la catégorie dite active*. Des aides-soignantes déjà éreintées vont devoir travailler cinq ans de plus, auxquels il faudra rajouter les deux ans d’âge pivot. Aujourd’hui 40 % d’entre elles arrivent à la retraite avec un taux d’invalidité important. Elles sont cassées par le travail. Ce sera pire demain. L’hôpital a déjà bien du mal à recruter. Dans de telles conditions, cela ne sera plus possible. Certains médecins ne veulent pas lier les deux conflits. Pour moi, il s’agit clairement du même sujet, celui de la défense de la protection sociale en France, qui est en train d’être bradée aux assurances santé ou aux sociétés privées de type BlackRock.

Vous-mêmes, êtes-vous en grève ?

Oui depuis quatre mois. Je mets ma brassière, mais bien sûr je continue à soigner.

« Concrètement, qu’est-ce que je demande ? Simplement de pouvoir sortir mon ambulance de l’hôpital le plus rapidement possible quand je dois intervenir pour secourir un patient qui fait une crise cardiaque, sans avoir à faire le tour de l’hôpital parce que la porte du garage est cassée et pas réparée parce que l’entreprise de maintenance n’a pas été payée depuis des mois… »

C’est ça la vie quotidienne à l’hôpital. La colère, l’épuisement font qu’aujourd’hui les salariés quittent l’hôpital, en silence, par la petite porte. On ferme des services, des hôpitaux, des maternités, comme la semaine dernière le service de réanimation pédiatrique du Mans ou encore à Saint-Nazaire, où, faute de lits dans le service d’urgences, l’accès a été limité aux cas les plus graves ! Saint-Nazaire, ce n’est pourtant pas un village. Nous assistons à la mort clinique de l’hôpital. Et que fait la ministre ? Elle regarde le système s’écrouler.

* Pour obtenir une pension maximale (soit 75 % du traitement de base sur les 6 derniers mois), les agents hospitaliers doivent remplir une condition d’âge (57 ans minimum pour les agents de catégorie « active » et 62 ans pour les agents de catégorie « sédentaire ») et valider entre 166 et 172 trimestres de service.