Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss : « La coopération avec le gouvernement s’est très vite délitée »

Patrick Doutreligne, président de l'Uniopss © Uniopss
Patrick Doutreligne, président de l'Uniopss © Uniopss

En ce début de campagne présidentielle, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) multiplie les prises de positions contre la politique gouvernementale en s’associant à des réseaux d’organisations sociales et environnementales comme le Pacte du pouvoir de vivre. Patrick Doutreligne, président de l’union, revient sur l’écoute ou plutôt la sourde oreille des pouvoirs publics envers les corps intermédiaires, syndicats et organismes sociaux, durant le quinquennat. 

Quel bilan faites-vous des échanges et de la communication entre votre corps intermédiaire et le gouvernement Macron ?

Patrick Doutreligne : Au début du mandat d’Emmanuel Macron, nous étions souvent invités à l’Élysée et à Matignon pour exprimer nos positions. Des rencontres et des réunions au cours desquelles nous avions le temps de développer nos arguments. Pourtant, notre avis n’était jamais pris en considération. Cette volonté affichée de concertation n’était en réalité qu’une simple consultation. Toutes les fédérations, syndicats, mutuelles et associations avaient alors la même impression désagréable de ne pas être écoutés. Les pouvoirs publics refusaient d’infléchir leur politique et souhaitaient manifestement se passer des corps intermédiaires. Cette situation a duré pendant au moins deux ans, jusqu’à l’arrivée des gilets jaunes. A ce moment-là, le gouvernement s’est rendu compte qu’il n’avait pas la capacité de maîtriser seul ce mouvement populaire. Puis, dans la foulée, la pandémie a également occasionné une reprise du dialogue.

De quelle manière cette collaboration avec les pouvoirs publics a-t-elle pu se remettre en place pendant la crise sanitaire ?

P. D. : Au cours de cette période, il y a eu de véritables échanges et de nouvelles synergies créées dans le secteur de la santé. Nous étions alors en contact régulier avec le ministère, qui s’est notamment appuyé sur l’Uniopss et plus généralement sur les fédérations et les corps intermédiaires pour relayer les consignes gouvernementales, souvent ardues et mises à jour presque quotidiennement, auprès des acteurs de terrain comme les établissements de soins et les Ehpad… La crise a démontré que cette collaboration était possible. Avec le « quoi qu’il en coûte », le gouvernement a également opéré un très net assouplissement de sa politique financière, en adoptant cette stratégie de soutien à l’économie après des années de restrictions et de coupes budgétaires. Mais cette coopération avec les pouvoirs publics a malheureusement été de courte de durée et la parenthèse est aujourd’hui terminée. 

« Nous œuvrons à Infléchir la législation dans le sens de l’humain et du bien social. »

Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss

A quel moment la communication s’est-elle délitée ? 

P. D. : Les barrières, momentanément ouvertes pendant la crise sanitaire, se sont très vite refermées. Même s’il a opéré quelques correctifs au cours de ces derniers mois, le « logiciel gouvernemental » a prouvé qu’il restait fondamentalement le même… Surtout depuis la rentrée de septembre, avec le démarrage de la campagne présidentielle et la droitisation des sujets mis en avant. Insister de cette manière sur la sécurité et l’immigration ne va pas aider à renouer le lien social. Nous nous battons pour que les véritables enjeux sociétaux reviennent au cœur du débat électoral : revaloriser les métiers de l’humain et du care, dont les problèmes d’attractivité influent directement sur la crise hospitalière, construire un vrai projet de société sur la perte d’autonomie, sachant que le projet de loi sur ce sujet vient d’être différé par le gouvernement… La lutte contre l’exclusion est également dans l’angle mort. Les coups de pouce ponctuels, à l’image de l’aide de 100 euros annoncée par le Premier ministre en octobre, sont bien insuffisants. Il est nécessaire d’adopter au plus vite des mesures structurelles envers les plus précaires.

Comment faites-vous entendre votre voix et vos idées ?

P. D. : Nous interpellons régulièrement l’opinion publique en diffusant des communications sur des faits d’actualité. Dernièrement, nous avons alerté les médias sur l’abandon récent des discussions gouvernementales à propos de la mise en place d’un revenu universel d’activité pour les jeunes précaires, qui restent pourtant toujours particulièrement touchés par la pauvreté. Nous avons également insisté sur la nécessité de déconjugaliser l’allocation aux adultes en situation de handicap (AAH), c’est-à-dire d’arrêter de prendre en compte les revenus du couple dans son calcul. Les personnes en situation de handicap ne doivent plus dépendre financièrement de leur conjoint. En donnant de l’écho à ces revendications, nous œuvrons à infléchir la législation dans le sens de l’humain et du bien social, notamment grâce aux auditions que nous pouvons avoir avec les députés et les sénateurs. Certains des amendements que nous proposions ont ainsi été intégralement repris. Nous nous appuyons par ailleurs sur notre réseau de partenaires et d’associations et notamment le collectif Alerte, que nous avons créé il y a presque 30 ans et qui réunit aujourd’hui 35 acteurs de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion comme la Fondation Abbé Pierre et Médecins du Monde… Ensemble, nous sommes déterminés à faire entendre notre voix pendant la campagne.

Le programme électoral du Pacte du pouvoir de vivre

Le Pacte du pouvoir de vivre, dont font partie l’Uniopss et la Mutualité française, regroupe toutes les grandes familles des corps intermédiaires : associations, mutuelles et syndicats… Début novembre, les 65 organisations sociales et environnementales de l’alliance emmenée notamment par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, ont détaillé leur manifeste à travers 90 propositions élaborées collectivement. « Nous entendons ainsi présenter le programme électoral de la société civile. Après mûre réflexion, nous avons choisi de ne pas faire porter ces revendications par un représentant politique. Le plus important pour nous est en effet de défendre un projet de société en imprégnant le débat public et les positions des candidats », précise le président de l’Uniopss, Patrick Doutreligne. 

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