PLFSS : « Ce n’est pas correct de taxer les mutuelles et non les entreprises » estime le député Joël Aviragnet

Joel Aviragnet

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 est examiné en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale à partir d’aujourd’hui, mardi 13 octobre. Le député de la Haute-Garonne, Joël Aviragnet, qui est responsable de ce PLFSS pour le groupe socialiste, estime qu’avec un déficit de 44,4 milliards d’euros, la Sécurité sociale est asséchée, ce qui empêche toute transformation structurelle : « pour que les conditions de travail changent à l’hôpital, il faut des lits et des créations de postes ». Le député s’oppose à la taxe sur les organismes complémentaires estimant qu’il aurait fallu aller chercher des financements auprès d’entreprises qui ont profité de la crise sanitaire comme Amazon. « Ce n’est pas correct de récupérer des financements sur des acteurs de santé comme les mutuelles qui fonctionnent sur une base solidaire ».

– Quel est votre appréciation du PLFSS pour 2021 et de ce déficit inédit de 44,4 milliards d’euros pour la Sécurité sociale en 2020 ?

On fait peser sur la Sécurité sociale la dette covid qui aurait pu être en partie prise en charge dans le budget de l’Etat. Et on ne cherche pas de financements complémentaires auprès des entreprises qui ont largement profité de la crise sanitaire comme Amazon. C’est une politique libérale. Avec 44,4 milliards d’euros de déficit pour 2020 et au moins 25 milliards d’euros de déficit en 2021, la Sécurité sociale est asséchée et ne peut financer ce qui est nécessaire pour améliorer le système de santé.

Certes, le « Ségur de la santé » (8,8 milliards d’euros pour 2020-2023) permet une revalorisation des salaires du personnel hospitalier ce qui va améliorer le quotidien des gens. Mais il fallait des renforts tout de suite, ce que ce déficit ne permet pas. Ce déficit empêche un véritable changement structurel absolument nécessaire à l’hôpital : il faut des lits et des créations de postes. C’est à cette condition qu’il peut y avoir une amélioration des conditions de travail. 

On peut dire qu’il manque une philosophie dans ce PLFSS, un véritable engagement de santé publique. Il n’y a rien, par exemple, sur la prévention, pourtant fondamentale dans cette période de pandémie.

«Il aurait donc fallu attendre quelques mois avant de décider d’une taxe. La mesure a été imposée, sans dialogue. Le gouvernement aurait pu faire autrement, en concertation avec les acteurs concernés qui ne sont d’ailleurs pas opposés à une participation à un effort financier de solidarité. Il y avait moyen de s’entendre en trouvant des solutions plus fines et plus adaptées».

– Le gouvernement a été chercher des financements pour la Sécurité sociale en taxant les organismes complémentaires à hauteur de 1 milliard d’euros en 2020 et de 500 millions d’euros en 2021. Que pensez-vous de cette mesure ?

Je ne suis pas d’accord avec cette mesure. Que les mutuelles aient moins dépensé pendant la crise sanitaire, c’est un fait. Mais, on peut penser qu’il y aura des rattrapages de soins. Il aurait donc fallu attendre quelques mois avant de décider d’une taxe. La mesure a été imposée, sans dialogue. Le gouvernement aurait pu faire autrement, en concertation avec les acteurs concernés qui ne sont d’ailleurs pas opposés à une participation à un effort financier de solidarité. Il y avait moyen de s’entendre en trouvant des solutions plus fines et plus adaptées. D’autant que cette taxe risque de renchérir le coût des contrats pour les adhérents, ce qui est un comble dans cette période où l’accès aux soins est primordial.

Ce n’est pas correct de récupérer des financements sur des acteurs de santé comme les mutuelles qui fonctionnent sur une base solidaire. On ne peut exclure que c’est le résultat d’une approche technocratique de Bercy qui ne comprend pas le rôle des mutuelles dans le système de soins et qui est aussi dans l’idée de fondre les budgets de la Sécurité sociale et de l’Etat. On l’a vu avec la non compensation des exonérations dans les PLFSS pour 2019 et 2020.

– Il y a une certaine déception sur la 5e branche de la Sécurité sociale pour la dépendance, la loi « Grand âge et autonomie » étant encore une fois repoussée et les financements n’étant pas au rendez-vous dans ce PLFSS. Comment expliquez-vous cet énième recul ?

Il faut comprendre que cette nouvelle branche de la Sécurité sociale a certes été créée par la loi du 7 août 2020 mais que les financements nécessaires pour l’alimenter restent à trouver. Avant la crise sanitaire, le gouvernement comptait sur un remboursement de la dette de la Sécurité sociale en 2024 et donc sur une manne estimée à 15 milliards d’euros tous les ans à partir de 2024 provenant de la Cades. Tout cela a volé en éclats. Reste seulement la décision d’affecter 0,15% de CSG à la 5èmebranche à partir de 2024 soit 2,3 milliards d’euros. Car, avec les déficits abyssaux auxquels nous sommes désormais confrontés, les 15 milliards en question vont servir à rembourser la dette de la Sécurité sociale prolongée jusqu’en 2033. 

Voilà pourquoi le vote de la loi « Grand âge et autonomie » est repoussé à dans un an. A quoi bon une 5èmebranche si elle n’a pas de financements complémentaires. On sait, si l’on suit le rapport Libault, que ces besoins sont de l’ordre de 6 milliards d’euros par an à partir de 2024 et de 9 milliards d’euros par an à partir de 2030. A mon sens, pour financer cette nouvelle branche, il faut faire participer tout le monde : actifs, retraités et surtout les entreprises. C’est un choix politique de ne pas vouloir demander leur part aux entreprises. 

Propos recueillis par Emmanuelle Heidsieck