Protection sociale complémentaire des fonctionnaires : une réforme qui fait débat

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L’ordonnance du 17 février 2021 sur la protection sociale complémentaire des fonctionnaires aura un impact pour 5,56 millions d’agents du service public, leurs ayants droit et les retraités. Cette réforme risque d’avoir plus d’effets pervers que de bénéfices.

Pour la Fédération des mutuelles de France (Fmf), la priorité est le maintien d’une Sécurité́ sociale de haut niveau, pour tous, afin d’éviter que ne s’accroissent les inégalités. La Fmf revendique, pour les trois versants de la fonction publique, la généralisation du dispositif de « labellisation » garantissant des couvertures complémentaires de bon niveau et une solidarité intergénérationnelle effective, et qui permet la liberté de choix des agents. La participation de l’employeur doit également intégrer le risque prévoyance ; tout cela, sans remettre en cause les dispositifs statutaires de solidarité (gratuité des soins pour les hospitaliers par exemple).

Enfin, face au risque de dumping des assurances et des courtiers, la Fmf appelle au respect des positions historiques et encouragerait, le cas échéant, des réponses mutualistes communes et partagées.

Martine Da Luz, présidente de l’Union nationale de la santé, et Jean-Pierre Chapuis, président de l’Union nationale des mutuelles de fonctionnaires territoriaux, précisent leurs positions.

Comment percevez-vous la réforme de la protection sociale complémentaire des fonctionnaires ?

Jean-Pierre Chapuis : Dans la fonction publique territoriale, cette réforme s’inscrit dans la continuité de celles de 2007 et de 2011, dont le motif annoncé était d’instaurer une participation de l’employeur public à la cotisation mutualiste et qui a remis en cause le versement d’aides directes des collectivités aux seules mutuelles constituées entre fonctionnaires.

Au chapitre des premières critiques de la présente réforme, on peut indiquer qu’elle introduit, par voie d’ordonnance, la possibilité de contrats de groupe obligatoires avec appels d’offres. Ces derniers se feront au niveau des centres de gestion sur périmètre régional, voire interrégional pour la fonction publique territoriale. Nous serons, dès lors, loin de la démocratie mutualiste.

Cela dit, tout n’est pas à jeter dans ce projet et nous prenons acte des avancées pour les adhérents, et notamment, de la participation obligatoire de 50 % en santé et, pour la Fonction publique territoriale, de 20 % en prévoyance avec un plancher minimal qui sera fixé par décret.

Martine Da Luz : Il est nécessaire d’avoir une approche critique de cette réforme qui ne règle pas tous les problèmes et qui comporte des risques pour la protection sociale complémentaire des fonctionnaires. Mais sur certains points, on peut considérer qu’elle constitue un pas vers une égalité de traitement entre salariés du public et du privé. Cela fait des années, en effet, que les agents des trois fonctions publiques subissent une inégalité des droits en matière de protection sociale complémentaire (Psc). Parmi les points positifs que l’on peut noter, la participation financière obligatoire de l’employeur public est une bonne chose.

La réforme de l’Ani, en 2016, généralisant les contrats collectifs obligatoires pour les salariés du privé, a eu de nombreux effets pervers. Quelles sont vos craintes pour cette réforme qui s’en inspire ?

Martine Da Luz : Mes craintes sont nombreuses et portent d’abord sur les modalités de choix des opérateurs. Va-t-on imposer, par exemple, le principe du référencement des organismes complémentaires, sélectionnés après une mise en concurrence, autant dire un appel d’offres ? Le projet est flou sur ce point. Pour notre part, l’employeur ne doit pas disposer du pouvoir de choisir à la place de l’agent. Dans la fonction publique hospitalière, les groupements hospitaliers de territoire (Ght), pourraient ainsi faire le choix des acteurs de la Psc ouvrant les portes à la concurrence et surtout au monde assurantiel à but lucratif, qui serait une casse de notre modèle mutualiste de solidarité.

Comme pour l’Ani, la contribution de l’employeur repose sur un panier de garanties minimales en santé. Le risque est d’avoir des couvertures ne répondant pas aux besoins des agents. Le niveau de revenu des agents de la fonction publique hospitalière (Fph) se situe en moyenne entre 1 400 et 1 700 € mensuels, avec un taux important de métiers féminins du milieu paramédical et de nombreuses couvertures « famille ». Cela aura comme conséquence le recours à des surcomplémentaires avec un surcoût important pour les agents. Et je ne parle pas de la prévoyance, où la participation de l’employeur reste facultative pour les agents hospitaliers. Je crains également que la mise en place de contrats collectifs obligatoires mette à mal la solidarité intergénérationnelle. La prise en charge des retraités est pour l’instant très floue.

Jean-Pierre Chapuis : Nous connaissons les conséquences de la réforme de l’Ani sur le niveau de protection sociale dans le privé. Contrat de base, options et surcomplémentaires, il faut parfois jusqu’à trois niveaux de couverture pour disposer d’une couverture permettant d’être correctement remboursé et donc, de se soigner.

Le risque est grand que les employeurs publics (collectivités, hôpitaux…) qui, pour la plupart, sont exsangues financièrement, participent a minima à la cotisation de leurs agents.  

Le contexte et la faiblesse des moyens des collectivités publiques conduira, comme dans le privé, à une protection sociale complémentaire au rabais pour la plupart des agents des petites collectivités, au niveau minimal de couverture, comme dans le privé.

Quel sera le rôle et le poids des forces sociales et syndicales dans les négociations ?

Jean-Pierre Chapuis : Il y a plusieurs lieux pour agir. Ce sont les organisations syndicales qui négocient avec le gouvernement pour les trois fonctions publiques. Il y a aussi des discussions au niveau de chaque fonction publique pour fixer les modalités d’application de cette réforme. Sur le plan local, les syndicats pourront demander l’ouverture de négociations s’ils ont au moins un élu au niveau où se mènera la négociation et s’opposer à un contrat groupe obligatoire s’ils représentent 50 % des voix. Ce n’est que dans ce cadre qu’ils pourront réellement être écoutés. Sinon cela se fera par le biais des instances représentatives consultatives où l’employeur aura, de fait, le dernier mot. Le recours à des contrats collectifs ne sera pas la seule possibilité, puisque les collectivités territoriales pourront toujours opter pour la « labellisation ». C’est le dispositif que nous défendons parce qu’il a fait ses preuves en termes de solidarité et de niveaux de garanties et qu’il donne aux agents la liberté de choix de leur couverture et de leur mutuelle. Il est aussi le mieux adapté à la réalité des collectivités territoriales.

Martine Da Luz : Le rôle des organisations syndicales est déterminant pour porter les besoins spécifiques des agents et veiller à ne pas « détricoter » les droits acquis pour les remplacer par un dispositif moins protecteur. Je pense notamment aux soins gratuits dans la fonction publique hospitalière.

Les organisations syndicales doivent être étroitement associées à toutes les étapes de décisions. Mais il est indispensable que les organisations sociales et les acteurs sociaux de proximité comprennent les enjeux et les risques afin de peser dans les négociations et in fine être exigeants dans les choix opérés.

Quels sont les atouts des mutuelles dans ce dossier et quelles actions peuvent-elles mettre en place pour peser dans les échanges ? Quelles sont vos propositions ?

Martine Da Luz : L’histoire démontre que les mutuelles ont une longue expertise en matière de protection sociale des fonctionnaires. Elles connaissent les risques et les besoins des agents et ont une approche globale de leur prise en charge tout au long de la vie. Leur proximité est également leur force. En développant des projets innovants agissant sur la santé et le bien-être des personnels, elles sont devenues des acteurs de prévention incontournables.

Nous devons, en tant que mutuelles de fonctionnaires, être présentes auprès des employeurs publics pour leur proposer des couvertures complètes et adaptées aux spécificités de leurs agents, et leur rappeler notre savoir-faire en matière d’accompagnement social. Plus largement, nous allons intervenir auprès des parties prenantes à la construction de cette réforme : les agents, qui sont aussi pour la plupart nos adhérents, les organisations syndicales, les employeurs, pour leur rappeler la singularité du modèle social que nous portons : solidarité intergénérationnelle, protection sociale de haut niveau et non lucrativité.

Jean-Pierre Chapuis : L’Union nationale des mutuelles de fonctionnaires territoriaux des Mutuelles de France travaille avec d’autres partenaires mutualistes sur ce dossier.

Cela nous a permis d’organiser une rencontre avec des représentants de quatre fédérations syndicales de fonctionnaires territoriaux, et de leur faire partager notre expertise en matière de protection sociale. Nous travaillons également à la mise au point d’argumentaires et d’outils à destination des représentants du personnel pour que ceux-ci puissent défendre les valeurs de solidarité que nous partageons ensemble dans l’intérêt des agents.

Propos recueillis par François Fillon et Louis Michel