Réforme de l’assurance-chômage : « Comme pour les retraites, c’est une mise à mal du paritarisme. » Anne Eydoux, économiste du travail

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Alors que le mouvement social perdure contre la réforme des retraites, l’économiste du travail au Cnam et membre des Economistes atterrés, Anne Eydoux, rappelle que comme pour les retraites, la réforme de l’assurance-chômage de juillet dernier est une remise en cause du paritarisme tel qu’il s’est construit depuis l’après-guerre.

« Il y a une similitude entre ces deux réformes, c’est la reprise en mains par l’Etat au détriment des partenaires sociaux. » L’économiste détaille comment cette réforme de l’assurance-chômage va réduire les droits à indemnisation et pourrait avoir un impact sur la santé des salariés, qui vont parfois se retrouver encore plus « enfermés dans des situations de travail dégradées ». 

Vous voyez un lien entre la réforme des retraites et celle de l’assurance-chômage. Pouvez-vous expliquer lequel ?

Il y a une similitude entre ces deux réformes, concernant la gouvernance. Dans les deux cas, on peut parler d’une reprise en main par l’Etat au détriment des partenaires sociaux. Pour l’assurance chômage, cela s’est fait en deux temps. Tout d’abord, par la suppression de la cotisation salariale d’assurance chômage en 2018, remplacée par une hausse de la Csg. Cette mesure, présentée comme un outil technique pour le pouvoir d’achat, a réduit la légitimité des représentants des salariés à gérer le système. 

En second lieu, la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 a renforcé le pouvoir d’orientation de l’Etat sur l’assurance-chômage. Dès le 21 septembre 2018, le gouvernement a donné aux syndicats la mission de négocier la nouvelle convention d’assurance-chômage avec comme objectif de parvenir à 4 milliards d’euros d’économies sur trois ans. Aucun accord n’était possible entre les syndicats et le patronat sur cette base, ce qui a permis à l’Etat de reprendre la main. La réforme voulue par le gouvernement a donc été adoptée par décret en juillet 2019. Pour les retraites comme pour l’assurance-chômage, on assiste à une mise à mal du paritarisme tel qu’il s’est construit après-guerre. 

Quelles sont les aspects de cette réforme de l’assurance-chômage qui sont les plus inquiétants ?

Ce sont les réductions de droits à indemnisation. Autant de mesures qui vont fragiliser les revenus des chômeurs, alors qu’aujourd’hui plus du tiers (37 %) d’entre eux sont déjà pauvres.

  • D’abord, il y a  le durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation chômage 

Depuis le 1ernovembre 2019, les demandeurs d’emploi doivent justifier de 6 mois de travail dans les 24 derniers mois, au lieu de 4 mois dans les 28 derniers mois auparavant.
Cela réduit considérablement le nombre de personnes éligibles : une note de l’Unédic* estime à 710 000 le nombre de personnes qui peuvent être affectées par la réforme, soit parce qu’elles ne vont pas pouvoir ouvrir de droits, soit parce que la durée de leurs droits sera réduite.

  • Ensuite, la réforme le modifie le calcul du salaire de référence

Au 1er avril 2020, le salaire de référence à partir duquel est calculée l’allocation va changer : ainsi, pour une personne ayant travaillé 10 jours dans le mois, le calcul ne prendra plus pour base le salaire journalier mais le salaire mensuel, bien inférieur. C’est donc une mesure qui va être particulièrement rude pour les plus précaires dont les allocations, déjà peu élevées, vont être diminuées. 
Selon l’Unédic, 850 000 personnes vont être concernées par ce changement de calcul. En moyenne, elles vont subir une baisse de 22 % de leur allocation mensuelle nette.

  • Enfin, la réforme prévoit une dégressivité des allocations pour les cadres

A partir du 1er novembre 2019, les personnes ayant un salaire brut supérieur à 4 500 € (3 500 € net) subiront une dégressivité de leur allocation de 30 % à partir du septième mois, sans descendre sous un plancher de 2 261 euros net.
L’Unédic estime à 70 000 le nombre de personnes concernées par an.
On peut noter que la dégressivité a existé entre 1992 et 2001 et que son évaluation a montré qu’elle n’a pas accéléré le retour à l’emploi. 

En contraignant encore davantage les salariés à accepter des conditions de travail dégradées, cette réforme pourrait accroître les problèmes de santé au travail et les arrêts maladie. Qu’en pensez-vous ?

Dans un contexte de chômage massif, on sait que les salariés ont tendance à s’accrocher à leur emploi, quel qu’il soit. Ils supportent parfois des conditions de travail pénibles, stressantes, en se disant que s’ils lâchent leur emploi, ils auront des difficultés à en retrouver un et s’exposeront à un chômage durable et mal indemnisé. 

D’une manière générale, les chômeurs peuvent se sentir contraints de reprendre un emploi qui ne correspond pas à leur projet ou à leurs compétences. Quant aux salariés en emploi, ils peuvent se sentir coincés dans des situations professionnelles difficiles. La réforme pourrait contribuer à renforcer cela, et à enfermer certains dans des situations de travail dégradées, avec un impact sur la santé.

* Note de l’Unédic : Impact de la réforme de l’assurance chômage(septembre 2019)