Santé au travail : un projet régressif

« L’État organise l’appauvrissement de la Sécurité sociale », alertent les Mutuelles de France © 123 RF
« Il faut remettre le système de protection sociale à l’endroit. En l’appuyant sur une Sécurité sociale de haut niveau financée par l’ensemble des richesses créées. », Pascale Vatel (FMF) . ©123RF

En décembre dernier, les partenaires sociaux, à l’exception de la Cgt, signaient un accord national interprofessionnel (Ani) « pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé et conditions de travail » dont l’objectif était de réformer un système qualifié d’inadapté aux évolutions du monde professionnel. Cet accord repris ensuite dans une proposition de loi, adoptée par l’Assemblée Nationale le 17 février dernier, ambitionne de privilégier une « culture de la prévention » par rapport à une logique de « réparation » de l’accident du travail. Qu’en est-il réellement ? 

Les députées Lrem Grandjean et Lecoq, initiatrices de la proposition de loi(Ppl) adoptée à l’Assemblée nationale, et désormais transmise au Sénat, affichent leur ambition. Il s’agit de « faire de la France l’un des pays les plus performants et innovants en Europe en matière de prévention dans le domaine de la santé au travail ». Peu avares d’hommages au dispositif de santé au travail existant « qui a permis de diminuer au fil des années la sinistralité liée aux accidents du travail et d’améliorer l’indemnisation pour les personnes victimes de maladies professionnelles », elles n’en pointent pas moins son inadaptation face à de nouveaux risques tels que la désinsertion professionnelle, la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques ou d’affections de longue durée en milieu professionnel.

Une occasion manquée

Alors que le gouvernement et sa majorité privilégient les aspects positifs de ce texte, les spécialistes et personnes de métier concernés estiment, quant à eux, qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux. « Dans ce domaine, explique Francois Desriaux, rédacteur en chef de la revue Santé et Travail, chercheurs, médecins et infirmières du travail, intervenants en prévention des risques professionnels (Iprp), tous ont exprimé le manque d’ambition de ce texte au regard d’une évolution préoccupante de l’état de santé des travailleurs, impacté par la dégradation des conditions de travail. » Ce que confirme Patrice Fort, vice-président de la Fédération des mutuelles de France, qui, s’il reconnaît dans ce texte quelques timides avancées, comme la reconnaissance d’un risque lié à l’organisation du travail, dénonce son manque d’ambition au regard des besoins et une vision perverse de la prévention sans articulation entre l’individuel et le collectif. « Dans la logique de propositions comme le passeport prévention ou la création de cellules dédiées à la prévention de la désinsertion professionnelle , déclare-t-il, il n’est nulle part question du travail ou de prévention collective. Attachés à chaque salarié, ces dispositifs individualisent la prévention et contribuent à transférer la responsabilité d’une éventuelle atteinte à la santé sur les salariés eux-mêmes, ceux-ci étant supposés avoir reçu la formation appropriée pour l’éviter », conclut Patrice Fort.

Invisibilisation des risques professionnels

Un autre point de cette Ppl mérite l’attention car il constitue un vrai risque d’invisibilisation des risques professionnels. Les salariés auront ainsi la possibilité – en dehors des activités à risques – de recourir à des « médecins praticiens correspondants ». En clair, des médecins généralistes pourront assurer des visites médicales du travail, déniant ainsi les compétences et missions spécifiques des médecins du travail. MG-France, premier syndicat chez les médecins généralistes, s’en est ému et a fait savoir son opposition à cette évolution « non souhaitable dans l’intérêt des travailleurs », ajoutant que « la médecine du travail nécessite une connaissance précise du milieu du travail que nous n’avons pas ». Seuls professionnels de la prévention en entreprise, disposant d’une indépendance et d’un statut, les médecins du travail sont, avec ce projet de loi, clairement menacés de disparition.

Enfin, la question essentielle des moyens n’est abordée ni dans l’Ani et ni dans la proposition de loi. La pénurie de médecins spécialisés dans cette discipline, la coordination défaillante des multiples acteurs gravitant dans le dispositif, la couverture insuffisante des besoins des petites et moyennes entreprises, la prévention des nouveaux risques…. Tous ces points relevés par ses auteures pour stigmatiser un système « à bout de souffle » resteront donc sans réponse, et la prévention des risques professionnels demeurera le parent pauvre des politiques de santé publique.

Louis Michel 

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