« Tous les droits sont menacés face à la montée généralisée de l’extrême droite », Patrick Baudoin, président de la Ligue française des droits de l’Homme

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Investi de longue date au sein de la Ligue française des droits de l’Homme et de sa fédération internationale (FIDH), Patrick Baudoin a été élu en juin 2022 à la présidence de l’association. Son défi : attirer de jeunes militants et combattre l’ascension de l’extrémisme.

Quel a été votre parcours avant d’être nommé président de la Ligue française des droits de l’Homme ?

Patrick Baudoin : J’ai d’abord intégré la Ligue française des droits de l’Homme (LDH France) en 1973, puis je me suis engagé au sein de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) où j’ai occupé les fonctions de secrétaire général pendant neuf ans à partir de 1986, de président pendant deux mandats jusqu’en 2001 puis de président d’honneur. Dans ce cadre, j’ai mené des enquêtes et des observations judiciaires dans de nombreux pays.

En tant qu’avocat pénaliste des droits de l’Homme, je me suis également investi dans la justice internationale en participant à la création de la cour pénale internationale (CPI) à La Haye en 1998 et en suivant des dossiers sur les crimes de masse (génocides, crimes de guerre, crimes contre l’Humanité). Ce que je fais toujours, d’ailleurs.

Pourriez-vous nous rappeler comment sont nées ces deux organisations ?

Patrick Baudoin : La ligue française des droits de l’Homme est née de l’affaire Dreyfus en 1898 pour lutter contre l’antisémitisme et les injustices au sens large. La FIDH a été créée en 1922 à l’initiative, notamment, des ligues française et allemande, sur la base commune de la Déclaration française des droits de l’Homme. La ligue, tout comme la FIDH, sont des organisations généralistes qui agissent sur tous les droits (civils, politiques, sociaux et éco, culturels…). Leurs combats sont les mêmes.

Qu’est-ce qui les distingue alors ?

Patrick Baudoin : La FIDH s’intéresse particulièrement aux pays étrangers : la Syrie, l’Iran, le Maghreb, l’Amérique Latine ou encore la coupe du monde au Qatar ou l’Ukraine. La LDH se préoccupe plus spécifiquement des droits en France. Mais dans tous les cas, nous défendons partout, une justice indépendante, la liberté d’expression et la liberté de la presse, l’égalité, nous sommes contre la peine de mort, contre la destruction de l’environnement et pour l’écologie.  

Quels sont vos objectifs en tant que président nouvellement nommé ?

Patrick Baudoin : Nous voulons recréer une nouvelle dynamique autour des droits. Aujourd’hui, tous les droits sont menacés face à la montée de l’extrême droite dans de nombreux pays. Car derrière les discours sur le pouvoir d’achat par exemple, le but de ces mouvements est de faire reculer les droits avec des mesures anti-immigration, racistes, de super sécurité etc. Une organisation généraliste comme la nôtre lutte pour tous ces droits.

Deuxième point, nous devons convaincre les jeunes du fait que leurs préoccupations sont traitées au sein de la Ligue des droits de l’Homme, que ce soit en matière de droits liés à l’environnement, des droits LGBTQI+ ou de l’égalité. 

Quels sont les sujets de préoccupations actuels en France ?

Patrick Baudoin : En ce moment, nous nous intéressons aux droits des étrangers et des immigrés avec, en particulier, la nouvelle loi immigration en préparation. Les grandes lignes de celles-ci font état de nouvelles restrictions, d’expulsions facilitées ou encore d’un droit d’asile très largement compromis. Cette loi est annoncée pour début 2023.

Nous travaillons également sur les sujets dits « police / justice » et luttons contre les violences policières telles que celles en réaction aux refus d’obtempérer (neuf personnes ont été tuées en France depuis le début d’année). Mais aussi aux verbalisations abusives, aux amendes forfaitaires et donc expéditives.

Nous nous inquiétons par ailleurs de la nouvelle loi OPMI (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur) dont les dispositions vont avoir pour conséquence la suppression de l’autonomie de la police judiciaire. Finalement, cette loi va encore dans le sens de plus de contrôle et de répression et donc d’une baisse des droits. Autre sujet, la loi Contrat d’engagement républicain, dite loi séparatisme, oblige toutes les associations et fondations à signer ce contrat, pour pouvoir obtenir des subventions. Or, ce contrat prévoit l’interdiction de porter atteinte à l’ordre public, une formulation large qui peut donner lieu à de multiples interprétations.

Et en matière de santé ?

Patrick Baudoin : Le groupe de travail dédié à la santé est particulièrement actif. Ils sont préoccupés par la crise de l’hôpital public, les problèmes d’accès aux médicaments, en particulier à celui des vaccins partout dans le monde.

Comment travaillez-vous sur tous ces sujets ?

Patrick Baudoin : Nous sommes 8 000 militants regroupés dans 300 sections locales. Nous sommes très présents sur le terrain judiciaire : nous saisissons régulièrement la justice. Nous avons par exemple participé à « l’Affaire du siècle » (un recours en justice pour inaction climatique porté par quatre ONG contre l’Etat, ndlr). Nous agissons aussi par d’autres moyens : conférence de presse, publication, interviews dans la presse etc. Et nous menons de nombreuses actions collectives.

Dernièrement, par exemple, un comité de soutien, composé de militants et de parlementaires, s’est réuni à l’Assemblée nationale pour protester contre l’extradition vers l’Italie de Vincenzo Vecchi, réfugié en France depuis huit ans et menacé d’une peine de 10 ans de prison pour dévastation et pillage, commis lors de manifestations.

Alexandra Luthereau