Un congrès pour de nouveaux jours heureux !

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Rencontre avec Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France, à la veille du congrès de Brest qui se tiendra du 27 au 29 octobre.

Vous avez tenu à ce que ce congrès ait lieu, même s’il doit s’adapter aux circonstances sanitaires. Pourquoi ?

Nous vivons une crise sanitaire, démocratique, économique et sociale grave avec la pandémie de Covid-19. Le gouvernement gère la situation de manière erratique et profite de cette crise pour accentuer la mise en œuvre de son agenda néolibéral. Après mûre réflexion, nous avons considéré que le temps aurait été mal choisi pour mettre en suspens notre militantisme. Ce congrès se tiendra dans le strict respect des règles sanitaires. Les services de la Fédération ont tout prévu en réunion plénière, en atelier, au moment des repas pour que les participants puis-sent appliquer scrupuleusement les gestes barrières. J’appelle fermement chacun à s’y conformer.

C’est maintenant, alors que cette crise hors norme montre le coût humain et économique inacceptable de décennies d’amoindrissement de la Sécurité sociale, d’absence de politique de prévention, d’asphyxie financière de l’hôpital public, que nous devons promouvoir les solutions solidaires. Les mois que nous vivons disent clairement qu’un tableau comptable ne peut tenir lieu de politique de santé publique et de protection sociale des populations. Cette bataille, la mutualité ouvrière, dont nous sommes les descendants, l’a engagée dès les années 1930 dans la foulée du Front populaire. Depuis, elle s’y est toujours pleinement investie, notamment à la Libération en soutenant fermement la création de la Sécurité sociale. Avec ce congrès, nous avons l’occasion de renouveler notre engagement !

Quelle en sera la thématique cette année et pourquoi avoir choisi Brest ?

Brest est le choix du cœur et de la raison. Le Finistère est un des lieux importants de l’histoire des Mutuelles de France. Nous n’oublions pas que l’Union départementale du Finistère est l’une des six unions fondatrices de la FMF au côté de la FNMT. C’est aussi un département où les Mutuelles de France ont fait la démonstration de leur capacité de gestion des services de soins et d’accompagnement mutualistes avec l’Union des mutuelles de Bretagne. En terme de complémentaire maladie, nous avons une longue présence sur les terres bretonnes, dont la Mutuelle Solimut Centre Océan est la continuatrice.

Sur le fond, nous avons travaillé en deux temps pour préparer ce congrès de Brest. Avant le confinement, le tour de France de nos délégations territoriales a été l’occasion d’organiser une dizaine de débats et de rencontres sur la lutte contre les discriminations en santé. Vaste sujet, encore trop largement occulté aujourd’hui. Oui, selon le lieu où nous vivons, notre réseau relationnel, notre origine, notre orientation sexuelle, notre genre, notre catégorie sociale, notre richesse, notre niveau d’instruction… nous ne sommes pas égaux dans l’accès à la santé.

Qu’est-ce qui justifierait cette injustice, qui touche, rappelons-le, à la santé de chacune et de chacun, c’est-à dire au plus fondamental de la condition humaine ? Rien ! Nous avons travaillé à la fois autour du constat et autour des solutions que nous sommes capables de promouvoir et de mettre en œuvre. Le confinement nous a conduits à interrompre ce tour de France et à enrichir ce sujet de départ pour travailler à bâtir les solidarités nouvelles que réclame la société. Nous avons opéré cela grâce aux conférences numériques organisées pendant le confinement. Car nous avons vite pris conscience que la pandémie ne pouvait pas, ne devait pas mettre la démocratie en berne et notre militantisme au rancart. Les solidarités nouvelles dont nous parlons sont celles qui ont été esquissées, expérimentées dans la société civile, celles qui se sont fait jour spontanément pendant le confinement. Tout cela montre que la sombre fable néolibérale ne tient pas, que la population a besoin et envie de solidarité. C’est l’objet de la table ronde qui ouvre le congrès cet après-midi. Mais c’est aussi celui des ateliers qui ont lieu demain matin sur la santé, la protection sociale, la démocratie et les libertés, les nouvelles solidarités, le lien à l’adhérent mutualiste. Ce sera l’objet également de notre dialogue, désormais traditionnel, avec Thierry Beaudet, président de la FNMF, comme de la table ronde sur l’égalité femmes-hommes.

Chacun des congressistes le sait, nous sommes un acteur du changement. A la fois comme structure fédérative qui porte une réflexion politique et défend ses valeurs au sein de la FNMF et dans le débat public, et comme groupements de livres 2 et 3 pour mettre en œuvre nos valeurs au quotidien. C’est de tout cela dont nous parlerons lors de ces trois jours de congrès.

Ce congrès se veut « un congrès ouvert sur l’extérieur », qu’entendez-vous par là ?

Nous sommes connus, aux Mutuelles de France, pour avoir des valeurs solidement ancrées. Mais cela ne nous a jamais empêchés de nourrir nos réflexions d’apports extérieurs. La période exceptionnelle que traversent le pays et le monde nous a convaincus d’accroître cette ouverture. C’est pourquoi nous avons invité de nombreux experts universitaires, associatifs, syndicaux. Je pense à Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS, Philippe de Botton, président de Médecins du Monde, Sophie Binet, cosecrétaire de l’UGICT-CGT, Aurélien Beaucamp, président de Aides, Jérôme Saddier, président d’ESS-France, SOS Méditerranée, France Assos Santé, La Ligue des droits de l’homme… Avec tous, nous avons des valeurs en partage, et des divergences, source de débat et de progrès. Le mouvement social n’est pas un monde de Bisounours où tout le monde est d’accord sur tout. Mais il est fait de personnes engagées et nous devons dialo-guer ensemble pour nous enrichir mutuellement ! C’est ce que nous ferons à Brest. Nous voulons ouvrir portes et fenê-tres, montrer que quels que soient l’âge, l’origine, l’identité, la mutualité est un mouvement social accueillant pour tous les militants contre toutes les discriminations et pour la justice sociale !

Le PLFSS vient d’être présenté. Quelles sont vos réactions, notamment sur la nouvelle taxe qui frappe les cotisations ?

Ce PLFSS nous inquiète et nous révolte. En soi, cette taxe est scandaleuse. Cet argent sera prélevé directement sur les moyens d’action des mutuelles et non sur des dividendes enrichissant des actionnaires que nous n’avons pas. Le plus grave, c’est qu’elle symbolise les choix politiques de ce gouvernement : faire payer la crise à ceux qui en ont pâti. En reportant la dette sociale sur la Cades, le gouvernement la fait payer aux ménages. En créant une taxe Covid sur les cotisations mutualistes, il fait payer la crise aux adhérents des mutuelles. En continuant sa honteuse politique de coupes budgétaires, y compris à l’hôpital, il fait payer ceux qui étaient applaudis au printemps pour leur mobilisation exceptionnelle envers les patients qui avaient besoin de soins.

Ce PLFSS est une raison de plus de notre mobilisation à faire advenir des jours heureux pour la génération qui vient. Nous devrons être opiniâtres et conjuguer nos efforts à ceux d’autres acteurs du mouvement social. Nous les accueillons pour nos débats. Nous devrons être unis. Dans La Mutualité en mouvement, Louis Calisti demandait que les mutualistes « assument pleinement toutes leurs responsabilités, qu’ils fassent preuve d’initiatives et d’imagination créatrices, qu’ils explorent des chemins nouveaux pour réaliser leur mission, faire éclore toutes les potentialités de leur mouvement ». C’est notre ordre du jour.