« 69 000 lits hospitaliers ont été fermés entre 2003 et 2017» dénonce la sociologue Fanny Vincent

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La chercheuse a co-écrit avec Frédéric Pierru et Pierre André Juven, l’ouvrage «la Casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public». Elle s’avoue sceptique sur un changement de politique à la sortie de la crise.

Vous alertez depuis longtemps sur la pénurie dans laquelle s’enfonce l’hôpital. Que vous inspire la situation d’aujourd’hui ?

On se mord les doigts aujourd’hui du sous financement et du manque d’investissement dans les hôpitaux. Les réformes libérales ont voulu faire croire que si l’hôpital allait mal ce n’était pas en raison du manque d’argent, de personnels ou de matériels mais d’une mauvaise organisation. Il fallait faire preuve d’efficience. Il fallait rationaliser. Cette crise démontre l’inverse. Les soignants sont bien organisés. Formés au Système D depuis des années, ils arrivent à transformer dans l’urgence des services entiers en réanimation. Mais les moyens ne sont pas à la hauteur pour faire face à l’épidémie. Il n’y a pas de masques -les réserves ont fondu en quelques années-, pas de gel hydro-alcoolique, pas assez de respirateurs.

Le manque de lits apparaît criant

On a perdu 100 000 lits à l’hôpital en 20 ans, 69 000 ont été fermés entre 2003 et 2017, sans compter les maternités, les services de chirurgie, les réanimations et des hôpitaux tout entier. Et c’est pire encore dans les territoires. C’est pourquoi on peut vraiment s’inquiéter des déplacements massifs des populations des derniers jours vers les déserts médicaux.

Vous condamnez ces déplacements ?

A la décharge de toutes ces personnes, les messages du gouvernement n’ont pas été clairs, voire contradictoires. On leur reprochait d’aller dans les parcs mais ils pouvaient aller voter. Ils sont confinés mais les salariés de certains secteurs sont exhortés à aller travailler.

Depuis plus d’un an les professionnels de santé étaient en grève pour dénoncer la situation des hôpitaux. Pourquoi selon vous n’ont-ils pas été entendu ?

Il y a eu beaucoup de mépris des autorités publiques envers ces mouvements qui avaient débuté à l’initiative des aides-soignants et des infirmiers avant d’être rejoints par les médecins dans les urgences puis dans tous les hôpitaux. Agnès Buzyn avait invoqué des problèmes dans certains hôpitaux ou territoires, refusant de reconnaître la situation structurelle des hôpitaux. En l’espace d’un an, elle a , c’est vrai, annoncé différents plans d’urgences auquel il faut rajouter le plan « Ma santé 2022 ». C’était un début de réponse mais totalement dérisoire au regard des besoins. Beaucoup de cet argent a été consacré une fois de plus à des questions organisationnelles, non à apporter de vrais moyens aux hôpitaux. Par exemple, on a choisi de « de récompenser » les salariés des hôpitaux non par une revalorisation pérenne des salaires mais par des « primes » ponctuelles.

Lorsque nous sortirons de cette crise, que sera-t-il prioritaire de faire ?

Nous sommes dans le mur. Il va falloir d’abord recruter massivement. Cela signifie attirer les personnels vers l’hôpital public. Depuis plusieurs années les écoles d’infirmières alertent sur le fait qu’elles ne remplissent plus leurs effectifs. Etre personnel soignant ne fait rêver personne. Une infirmière en réanimation gagne 1700 euros nets par mois. Un salaire qui la classe au 28 e rang des pays de l’OCDE. Il faudra aussi s’attaquer à l’exercice de la médecine et en particulier à la liberté d’installation des médecins qu’il faudra réguler. Cela va devenir demain un vrai sujet…

Sur les 45 milliards d’euros débloqués par Bercy pour faire face à l’urgence, 2 milliards (1) seront destinés à financer l’Assurance maladie. Est-ce suffisant ?

Ce n’est pas sérieux. Avant la crise, la Cour des comptes évoquait le le chiffre de 4,5 milliards d’euros nécessaires pour les hôpitaux.

Lors de son allocution télévisée, Emmanuel Macron a vanté les bienfaits de « l’Etat providence ». Un changement de politique s’annonce t-il?

En effet, il a dit qu’il fallait sortir des lois du marché en matière de santé. Je suis sceptique, alors même qu’en pleine crise on ne fait rien pour les salariés qui doivent continuer à travailler et qu’on ne parle pas d’interdire les licenciements. Je doute sérieusement de sa sincérité. Je ne pense pas que l’on va en finir avec cette idéologie libérale. Le risque est grand que les politiques de relance de l’économie se fassent en mode ajustement structurels du FMI, c’est-à-dire assorties de cures d’austérité très importantes pour les budgets sociaux et la population. Ce qui est certain en revanche, c’est que la mobilisation sociale qui était à l’oeuvre avant la crise ne faiblira pas.

  1. Cette enveloppe doit financer l’achat de matériel de soins tels que les masques et les respirateurs. Elle est également dédiée au paiement des heures supplémentaires des soignants. Enfin, un peu plus d’un milliard est consacré au financement des arrêts maladies mis en place pour les personnes confinées ou qui ne peuvent pas faire garder leurs enfants.

A lire : « La Casse du siècle :à propos des réformes de l’hôpital public » : Editions « Raisons d’agir ».

Les couloirs transformés en hébergements de fortune, des personnels de  santé au bord de la crise de nerfs, des mobilisations récurrentes,  l’hôpital public était mis à rude épreuve et cela bien avant Covid-19. Ce livre propose une analyse  des politiques hospitalières successives qui ont abouti à la crise  actuelle. Une véritable casse de ce service public est engagée par des  réformateurs adeptes de l’acculturation de l’univers médical à des logiques managériales qui contredisent son bon fonctionnement. «À  l’encontre de toute évidence, les défenseurs d’une réorganisation du  travail continuent de promouvoir à la fois des indicateurs de  rentabilité ineptes et une vision techniciste de la médecine qui prétend  substituer l’innovation aux relations humaines» dénoncent les auteurs. À l’heure où les mobilisations pour le défendre  s’intensifient, un débat s’impose sur les missions de l’hôpital et les  moyens qui lui sont accordés.