« Agir contre les discriminations » : un chantier prioritaire pour les Mutuelles de France

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La seconde des quatre conférences numériques thématiques (CNT), dans le cadre de la préparation de la feuille de route des Mutuelles de France 2021-2023 a rassemblé dans la matinée du mercredi 10 février, plus d’une centaine de militants mutualistes. « Il s’agissait de s’interroger sur le rôle que le mouvement mutualiste peut jouer dans la lutte contre les discriminations et pourquoi en tant qu’acteurs du mouvement social et offreurs de soins les militants mutualistes ont une responsabilité particulière pour travailler sur ces questions » s’est exprimé Nicolas Souveton, vice-président des Mutuelles de France pour introduire la matinée.

La présentation d’un film sur le thème des discriminations sexistes lors d’un match de football est venu nourrir les premiers échanges. Ces derniers ont permis de partager le constat de l’omniprésence des discriminations dans la société y compris au sein du monde mutualiste : « Les filles à la cuisine, les garçons au foot, c’est dans les habitudes, déplore Carole Moreira, présidente de la SMH… Et si aujourd’hui nous réagissons, si les acteurs de l’ESS et les mutuelles travaillent sur le « vivre ensemble », contre les clivages et les stéréotypes, nous ne le faisons pas assez fortement ». Carole Hazé, Présidente de Solimut Mutuelle de France partage ce sentiment : « en tant que militants, nous travaillons contre les inégalités sociales et culturelles de santé. Mais ce n’est pas parce que nous luttons dans ce domaine que nous agissons contre les discriminations. Si nous percevons très bien certaines d’entre elles, par exemple, celles liées à l’origine et au racisme, d’autres nous sont moins perceptibles. Au-delà de nos bonnes intentions, nous ne décryptons pas toujours les mécanismes inconscients de la reproduction culturelle que nous véhiculons ». 

Olivier Techec président de Mutuelle Entrain tient à rappeler cependant que s’il existe une organisation qui est engagée dans la lutte contre les discriminations, c’est bien le mouvement mutualiste « grâce à son principe de « non- sélection » à l’adhésion, en particulier sur critères de santé -ce que les assureurs ne font pas-. En revanche, en tant qu’employeurs, nous peinons, c’est vrai, à recruter des personnes en situation de handicap ou « cabossées » par la vie… Ce serait intéressant de faire la démonstration que nous pouvons le faire ».

Les participants sont unanimes à constater que l’on ne trouve pas dans le monde mutualiste beaucoup de personnes issues des minorités visibles : « d’une manière générale, la Mutualité est dirigée par des vieux mâles blancs, ironise Patrice Fort, vice-président de la fédération même si avec 40 % de femmes au sein CA fédéral, nous faisons figure d’exception. Il faut s’interroger pour que nos organisations œuvrent au changement ». 

«L’objectivation d’un état de discrimination suppose que trois conditions soient remplies : un traitement différent, une raison illégitime, un résultat défavorable». 

C’est quoi une discrimination ?

La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît. D’abord parce qu’il n’existe pas une mais des discriminations qui n’ont pas forcément des mécanismes communs. Ainsi, en France, 25 sont visées par la loi parmi lesquelles : l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état de santé, le handicap, l’opinion politique, l’activité syndicale… Elles s’exercent dans de nombreux domaines : l’emploi, le logement, l’éducation, l’accès aux biens et aux services à la santé et aux services sociaux. Enfin, elles touchent aussi bien la sphère personnelle que professionnelle et sociale. Elles relèvent de comportements individuels mais aussi collectifs, institutionnels et donc politique. On parle alors de discrimination systémique.

Pour Sophie Elorri, administratrice chez Mutami animatrice de la partie analyse : « La discrimination c’est le traitement moins favorable entre des personnes placées dans une situation comparable en raison de leur appartenance aux critères visés par la loi ». L’objectivation d’un état de discrimination suppose que trois conditions soient remplies : un traitement différent, une raison illégitime, un résultat défavorable. 

Les discriminations peuvent être directes (sexe, origine…) ou indirectes, plus difficiles à cerner et à combattre car elles ne relèvent pas d’un fait mais d’un ensemble de faits, de stéréotypes, de préjugés, d’ancrages culturels et de processus. Pour agir collectivement, il faut d’abord parvenir à les décrypter.

Agir… Mais comment ? 

Si de par leur histoire les Mutuelles de France, héritière de la mutualité ouvrière, ont toujours lutté contre les inégalités territoriales et sociales, elles sont moins armées dans la lutte contre d’autres types de discriminations ont pu témoigner les participants sollicités lors d’un sondage en direct. 

« Lorsqu’on prend en compte la sociologie des adhérents des lieux dans lesquels sont installés nos établissements de Livre 3 et l’origine ethnique des personnes qui les fréquentent, force est de constater que notre gouvernance et notre militantisme ne sont pas à la hauteur de cette diversité » déplore Nicolas Souveton qui plaide pour identifier les mécanismes qui ferment les portes.

Proposition est faite aux participants de s’engager à travailler sur quatre types de discriminations : celles en direction des jeunes, des femmes, des personnes LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans) et enfin des personnes « racisées » (1) dans un contexte d’accès à la santé et au système de protection sociale, secteur d’intervention privilégié du mouvement mutualiste. 

Sont évoquées les questions du « syndrome méditerranéen » qui qualifie la façon dont les personnels soignants peuvent parfois minimiser la douleur d’un patient lorsque celui-ci est noir et plus encore lorsqu’il s’agit d’une femme (2) mais aussi les problématiques du refus de soin, des outils de communication mal adaptés à la langue et à la culture et l’importance de la médiation culturelle en particulier en matière de santé sexuelle qui dans certaines communautés peut être taboue. De même comment agir en direction des personnes LGBT qui subissent des discriminations importantes en matière d’accès aux soins, victimes de préjugés ou de stéréotypes liés à leur orientation sexuelle ? Les jeunes, pour leur part, renoncent massivement aux soins par manque de structures adaptées ou parce qu’ils peinent à accéder à une complémentaire santé. Quant aux femmes, elles voient leur prise en charge en santé sacrifiée par manque de temps ou parce que certaines maladies leur sont sous diagnostiquées. D’autre part, la recherche s’intéresse peu aux maladies « de bonne femme » comme l’endométriose et leur propose des médicaments inadaptés à leurs spécificités.

Accepter d’être « bousculés »

Pour les participants, faire changer les choses commence par une prise de conscience individuelle et collective, une volonté d’agir concrètement, l’acceptation de remettre en question ses pratiques et par l’écoute des témoignages des personnes discriminées sans les minimiser. 

Un certain nombre de propositions émerge : l’importance de faire un état des lieux des discriminations au sein du mouvement et dans les mutuelles en s’appuyant sur des indicateurs, en se dotant de « scores » ou en utilisant certaines données RSE en particulier celles concernant l’égalité homme-femme puis mutualiser les bonnes pratiques lorsqu’elles existent. Les militants sont aussi demandeurs de l’organisation de débats, de formations avec les administrateurs et les salariés des mutuelles sur ces questions mais aussi de l’élaboration d’une charte de lutte contre les discriminations. Ce code de bonne conduite entraînant de nouvelles pratiques pourrait « bousculer » les équipes de manière positive en permettant une mise en cohérence entre discours et pratique. Des partenariats comme il en existe déjà entre certaines mutuelles et le Secours Populaire ou Sos Méditerranée pourraient aussi s’amorcer avec des associations qui travaillent sur ces questions. 

  1. Terme aujourd’hui admis dans le cadre des discriminations pour définir les personnes subissant des préjudices liés à la couleur de peau,
  2. Une discrimination illustrée de manière dramatique par l’affaire Naomi Musenga, du nom de cette jeune femme française noire de 22 ans décédée le 29 décembre 2017. Souffrant de violentes douleurs au ventre celle-ci avait appelé plusieurs fois le 15 sans que les opérateurs n’aient pris sa détresse au sérieux.